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différend touchant les duchés, et le moins initié pouvait distinguer de quel côté était l’agression et de quel autre la défensive. Si d’ailleurs le roi Guillaume croyait avoir sujet de se plaindre de l’empereur, François-Joseph, le pacte fédéral ne lui offrait-il pas un moyen aussi simple que légal de se faire rendre justice ? L’article 11 de cette loi fondamentale du Bund dit en toutes lettres : « Les états confédérés s’engagent à ne se faire la guerre sous aucun prétexte et à porter leurs différends devant la diète. » Pourquoi donc M. de Bismark ne portait-il pas sa cause devant ce tribunal suprême ? — Quant aux armemens formidables de l’Autriche que dénonçait la circulaire prussienne, — sans parler de la fausseté et de l’exagération notoires des détails qu’elle alléguait à ce sujet dans une annexe spéciale, — qu’y aurait-il eu d’étonnant, après tout, si le gouvernement de Vienne eût réellement pris quelques mesures de précaution à la suite de l’ordonnance du 11 mars et du non vraiment « introuvable » donné en réponse à la question catégorique qu’avait posée le comte Karolyi ? — Et le gouvernement prussien lui-même n’osait prétendre que l’Autriche ait armé avant cette date assurément menaçante ! Qu’y aurait-il eu d’étonnant, ajouterions-nous enfin, si l’on pense surtout à la situation géographique de l’objet en litige ? Qu’on veuille bien le considérer en effet : l’objet en litige, ces duchés convoités par le successeur de Frédéric II, ils étaient séparés de l’Autriche par toute l’épaisseur de l’Allemagne, tandis qu’ils se trouvaient à la portée immédiate de la Prusse, qui n’avait qu’à étendre la main pour les saisir. Un ordre n’avait qu’à partir de Berlin, et le général de Gablenz était instantanément cerné de toutes parts, forcé de se rendre ; les duchés étaient définitivement annexés, et M. de Bismark se retournait avec le « fait accompli » sans encore se trouver en face des kaiserliks rangés en bataille ! A cet égard et par rapport à l’objectif de la guerre, pour parler le langage militaire, on peut dire que la Prusse était toujours la première armée et la première arrivée, en s’abstenant même de tous préparatifs. S’en était-elle abstenue cependant, et était-il bien venu à parler des projets hostiles du cabinet de Vienne, le ministre dont les négociations avec l’Italie n’étaient un secret pour personne, et qui avait déjà depuis plusieurs jours pour hôte dans sa résidence le général Govone[1] ?

  1. « Si la note prussienne était fondée en droit (disait M. de Mensdorff dans sa dépêche du 7 avril au comte Karolyi), il faudrait que l’Europe eût vécu dans un rêve profond pendant les derniers mois et qu’il ne fût pas vrai : qu’on proclamait hautement en Prusse qu’il fallait que l’annexion des duchés fût opérée de gré ou de force, — que le 26 janvier il a été envoyé à Vienne une dépêche du comte de Bismark qui, dans tous les organes gouvernementaux de Berlin, était désignée avec intention comme signe précurseur de la rupture, et qu’après la réponse négative à cette dépêche des délibérations d’état ont eu lieu à Berlin avec le concours de hautes notabilités militaires ; — que des mesures ont été prises pour préparer un ordre de mobilisation ; — que le premier ministre de Prusse parlait de la guerre comme d’une chose inévitable ? — que le 16 mars il répondit a cette question : s’il avait l’intention de rompre violemment la convention de Gastein, par un non qu’il déclarait lui-même nul et sans valeur ; — que la cour de Prusse a négocié avec le cabinet de Florence sur les éventualités d’une guerre avec l’Autriche, — que tout cela ne fût pas vrai, que tout cela ne fût qu’une vaine illusion des sens, et que la seule chose réelle était ces masses armées autrichiennes qui se sont avancées, dit-on, depuis le 13 mars (c’est le cabinet prussien lui-même qui donne cette date) vers la frontière prussienne) Les choses se sont passées autrement, et à la vue de tous… »