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LES SEPT CROIX-DE-VIE.

Un magnifique perron où l’on montait par quinze degrés de pierres blanches, d’un éclat non moins doux et d’un poli non moins beau que le marbre, ornait autrefois le pied du château. Les balustres qui le décoraient sont rompus, le royal escalier croule. Les statues qui peuplaient naguère les bosquets ornent le musée du département, les piédestaux mêmes gisent dans la poussière. Les jardins, bordés de vastes terrasses, ne sont plus qu’un champ de ronces et de pierres, le grand bassin qui en occupait le milieu est moins qu’un marécage. Une fauvette aquatique y vient chaque printemps entrelacer son nid aux panaches des roseaux. Elle chante en couvant ses œufs balancée par le vent. Les gens du pays affirment qu’ils la reconnaissent, et que c’est bien la même qui parut en ces lieux pour la première fois il y a dix-sept ans. La gracieuse créature fut l’hôte des jours funestes. Elle égrenait ses mélodies tandis qu’on s’épuisait si près d’elle en prières et en larmes vaines, et sa voix dut être plus d’une fois couverte par les cris du désespoir et de la folie.

La belle maison de Robert XV de Groix-de-Vie, encore habitée en 1848 par les descendans du seigneur des Marches, est déserte maintenant et menace ruine. On y montre aux curieux qui passent deux salles à peu près intactes : l’une où les Croix-de-Vie, lieutenans-généraux durant deux siècles dans la province, eurent deux fois l’honneur de recevoir le roi ; l’autre, qu’on appelle la chambre des Morts, où se dressait la chapelle ardente lorsqu’un des seigneurs quittait ce monde pour faire place à l’aîné de son nom. Partout ailleurs les vitres sont brisées, les plafonds ouverts. Le château de Croix-de-Vie est tombé par l’effet d’un contrat étrange à l’avocat Lesealopier de Bochardière, que toute la contrée a bien connu. Jamais pourtant l’avocat n’a pu se décider à en repasser le seuil. Plutôt que de le transmettre aux parens éloignés qui lui restaient, il l’a vendu. Un marchand enrichi l’a acheté ; il le fera raser quelque jour. Il en tire à présent tout le parti qu’il peut. Comme il n’y a plus de portes aux communs, il parle d’utiliser la chambre du Roi et d’y installer le métayer.


II.

L’été de 1848 commençait. Bien des passions, bien des terreurs étaient en éveil ; il est naturel sans doute que les révolutions troublent les âmes faibles. La marquise douairière de Croix-de-Vie, faisant sa partie de whist avec l’abbé de Gourio, son neveu, M. l’avocat Lescalopier de Bochardière et « le mort, » ne tarit point ce soir-là en tristes histoires du temps passé. La marquise était née