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approche. Croyez-vous donc que je sois faite comme vous, qui ne voyez rien de mieux que de l’attendre ?… Elle n’acheva point. Le bruit d’un pas d’homme qui venait de résonner à l’étage supérieur, au-desus de sa tête, l’interrompit.

— Mon fils ! dit-elle d’une voix étouffée. C’est encore mon fils qui veille !


III.

C’était un pas impérieux, mais inégal, triste et ferme par moment, d’autres fois comme emporté par le choc de pensées violentes, puis fléchissant aussitôt comme sous le poids d’un corps accablé. La marquise écoutait : elle appuya ses deux mains sur son cœur, elle avait pâli, et une sorte de convulsion douloureuse agitait tous ses traits. L’âme de la mère se trahissait sur son visage et le rendait soudain plus grave et plus noble. — Mon Dieu ! murmura-t-elle, les médecins ont beau le gronder !

— C’est, dit l’abbé de Gourio, que les médecins obsèdent inutilement mon cousin, madame. Aussi ne veut-il point leur obéir.

— À la bonne heure ! s’écria M. de Bochardière, j’aime à vous voir contredire un peu Mme votre tante, monsieur l’abbé. Et d’ailleurs c’est ce qui plaît à Mme la marquise. Je veux perdre le fruit du profond dévouement de toute ma vie à votre famille, madame, si M. l’abbé n’a pas raison.

— Dites le dévouement de la moitié de votre vie, fît observer malignement l’abbé. Mon dévouement, à moi, monsieur, date du jour où je suis né. Certainement il est bien aussi profond et aussi fidèle que le vôtre. J’ai toujours aimé et respecté mon cousin Martel, qui est mon aîné ; j’ajoute… j’ajoute, madame…

— Allons, René, hâtez-vous, dit la marquise d’un ton à moitié railleur, à moitié attendri. L’assurance que vous nous donnez là n’en vaudra que mieux ; nous savons bien que vous aimez Martel. Si mon fils… si mon fils vivait !…

— Madame, murmura l’avocat, de grâce éloignez les mauvais rêves.

— Hélas ! fit-elle tout bas… Martel ne peut manquer d’arriver à un grand état dans le monde, continua-t-elle presque gaîment. Il y poussera son cousin l’abbé. Ne regardez pas toujours votre anneau, mon neveu. Nous connaissons votre rêve…

— Madame, interrompit brusquement M. de Bochardière, qui n’aimait point à voir la marquise occupée du rêve de l’abbé, disons tout, M. le marquis porte son mal en lui-même. Les médecins jamais n’y verront rien, car ils ne doivent rien savoir…