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l’engagement de courtoisie que Davoud-Pacha avait affecté de substituer à leurs engagemens légaux. Or, en voyant tel cheik, tel émir, tel gros traitant, bien connus jusque-là pour braver impunément les réclamations les plus légitimes et les réquisitions les plus formelles, s’exécuter sur la simple invitation de Davoud-Pacba, le commun des justiciables en avait machinalement conclu que celui-ci disposait de quelque force inconnue avec laquelle il y aurait folie pour les petits à prétendre lutter. — Juste, et curieux retour des choses : cette même aristocratie féodale et pécuniaire dont la Porte s’était naguère si puissamment servie pour achever de pervertir le sens légal des masses se trouvait avoir maintenant pour rôle de les ramener dans le chemin de la légalité.

À ces moyens calculés ou fortuits de coercition morale s’en joignait un autre plus décisif. Si le débiteur faisait preuve de bonne volonté et de bonne foi à l’échéance des premiers termes, Davoud-Pacha amenait et au besoin même obligeait le créancier à des réductions où la stricte équité n’avait d’ailleurs point à souffrir ; elles portaient sur des clauses usuraires motivées à l’origine par l’inefficacité des garanties légales, c’est-à-dire par des risques dont il n’y avait plus dorénavant lieu de se prévaloir. Pour se ménager ce dernier coup d’éperon, le gouverneur-général avait presque toujours soin de ne régler d’abord que le principal présumé de la dette, en remettant à plus tard la discussion des intérêts. Une fois bien persuadés qu’il n’y avait plus à reculer devant la liquidation du passé, les débiteurs les plus réfractaires trouvaient profit à tenter par leur empressement la chance de liquider à 50 pour 100 de rabais.

En matière correctionnelle ou criminelle, il pouvait paraître chimérique de vouloir intéresser les inculpés à se mettre en règle avec la loi. Davoud-Pacha y parvint néanmoins dans une certaine mesure ; il aggrava les inconvéniens de l’insoumission, tout en diminuant les dangers de la comparution. Grâce d’abord aux précautions prises contre l’infidélité ou l’équivoque maladresse des agens de hasard chargés de l’exécution des mandats d’amener, qui tantôt ; feignaient de ne pas trouver le délinquant, tantôt se trompaient de personne de manière à lui donner le temps de se mettre en sûreté, il ne resta bientôt plus guère aux insoumis que la ressource de l’expatriation. En second lieu, et tandis qu’une fixité de principes jusque-là inconnue se révélait dans la jurisprudence pénale, de minutieux règlemens, à l’exécution desquels le gouverneur tenait personnellement la main, vinrent empêcher toute prolongation inutile ou illégale de l’emprisonnement, tant préventif que définitif. Ceux que frappait un mandat d’arrêt savaient donc maintenant presque à coup sûr ce qu’ils risquaient en l’éludant ou en s’y résignant. Si le délit poursuivi n’était pas d’une extrême