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LES SEPT CROIX-DE-VIE.

à celui de la justice d’en haut. Incroyable, funeste histoire ! qu’était-ce donc que ce monde de douleurs nouvelles, de malheurs inouis, de châtimens sans fin ? Involontairement elle regardait le ciel ; l’éclair des lames meurtrières y remplaçait les rayons, les taches de sang y tenaient lieu d’étoiles, l’air soufflait le délire, la démence, la fureur de ne plus vivre. Ils tombaient un cà un, ces orgueilleux Croix-de-Vie. Dieu frappait… Était-ce bien lui ? Dieu ! vos coups sont terribles, faut-il donc croire qu’ils sont aveugles ?… Et comme l’avocat, s’interrompant un moment dans sa lecture, avait fait remarquer à sa fille que la Providence quelquefois est bien cruelle. Violante, sans relever cette fois la tête, avait murmuré : Dites le destin.

Elle tourna le premier feuillet du livre vert. Au verso, M. de Bochardière avait pieusement dessiné et colorié de sa main l’écu des Croix-de-Vie, écartelé aux armes de Bretagne et d’Aquitaine. — Eh quoi ! ne disait-on point de l’avocat Lescalopier dans sa jeunesse qu’il avait tous les talens ? Mais Violante, il faut bien l’avouer, ne songea point à admirer les talens de son père. Ces armes de Croix-de-Vie, si simples en apparence, étaient vraiment des armes parlantes. La pièce principale seule frappa les yeux de la jeune fille ; c’était une croix de gueule sur champ d’argent. Cette croix rouge avec ses deux bras sanglans n’apparaissait-elle point là comme un frontispice fatidique ? Ainsi se dressait la grande croix de pierre à l’entrée de l’avenue qui menait au château de Robert XV ; Mlle de Bochardière tressaillit, et pourquoi ? Tous ces mouvemens que soulevaient en elle ces choses qui ne l’intéressaient point commençaient à lui paraître indiscrets, puérils même. Dans son impatience de ne pouvoir s’en défendre, elle laissa là le beau dessin de son père et courut aux pages suivantes.

L’avocat y célébrait tout d’abord les origines de l’antique maison dont il s’était fait l’historien : longs et pompeux commencemens qui ne se lassaient point de recommencer sans cesse. Violante était bien rassasiée de toute cette gloire de ses nobles voisins après la lecture de la veille. — Au sein de ces forêts mêmes, dans l’obscurité d’une terre presque vierge, cette noble race était née. Elle descendait d’un chef armoricain qui était bien la moitié d’un roi. Ce chef, ayant embrassé la vraie religion, était devenu un saint, c’est-à-dire la moitié d’un dieu. On vénérait encore Siochan de Croix-de-Vie à l’une des églises paroissiales de la ville voisine qui lui avait été dédiée. Hélas ! que d’emphase ! que d’artifices naissant comme d’eux-mêmes sous la plume d’or de l’avocat ! Mais ceux-là du moins étaient innocens encore, et Violante maintenant était bien près d’en sourire.