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LES SEPT CROIX-DE-VIE.

pour la défendre. À la montagne, il y avait une maison qui était à elle, et qui depuis la mort de l’aïeule était déserte ; elle pouvait s’y enfermer parmi ses parens et ses proches, sous la garde du clan, comme disait M. de Bochardière. Ce n’était point là qu’il viendrait la chercher. Ici elle avait beau être sûre de résister et de vaincre, elle était seule. Elle voyait la persécution près de commencer, elle devinait les pièges qu’on allait lui tendre. Ces orgueilleux et durs Croix-de-Vie avaient arrêté dès longtemps leur pensée sur elle, et quatre ans durant l’avaient mûrie. Ils cherchaient l’instrument du salut de leur race, c’est elle qu’ils avaient choisie. À tout prix, ils la voulaient.

Non, tu ne l’auras point, race opiniâtre, que n’ont lassée jamais ni tes malheurs ni tes chutes ! tu ne l’auras point, race maudite ! Ces Croix-de-Vie ne savent guère quelle est cette Violante Lescalopier, sur laquelle ils ont résolu de jouer leur dernière chance d’avenir. Elle n’est point de celles dont on fait les esclaves, les résignées, les victimes. Cette frivole marquise ne s’était-elle point vantée la veille à Lescalopier d’avoir pénétré sa fille et de la connaître ? — Si elle me connaissait, pensa Violante, me rechercherait-elle ? — Ce qu’il fallait aux Croix-de-Vie, c’était quelque pensionnaire humble et douce qui n’eût point d’yeux pour voir, point de jugement pour percer ce qu’on attendait d’elle, ou bien c’était quelque romanesque fille, prenant les folles visions de son cerveau malade pour les justes désirs du cœur, prête à se dévouer à ceux que le destin frappait parce qu’elle ne savait pas ce que c’est que le destin. Ah ! si Violante avait eu de Y imagination, son père sans doute y eût fait appel pour l’amener à ses desseins. Encore en eût-elle été séduite ? N’aurait-elle pas bien su démêler le feu des intérêts dans les projets paternels ? Et cette couleur d’affaire, qui les recouvrait si mal, ne l’aurait-elle pas blessée ?…

Mais que faisait M. de Bochardière après l’orage du matin ? Elle ne le voyait pas dans ses jardins ; se cachait-il donc ? Elle s’informa, elle apprit qu’il s’était enfermé chez lui, qu’il avait donné l’ordre de lui apporter à déjeuner dans son appartement. Elle eut un sourire cruel. Pourtant elle ne voulait point le priver de ses terrasses, de ses charmilles, de toutes ces belles choses qu’il aimait. Et puisqu’il semblait décidé à se tenir prisonnier plutôt que de la rencontrer sur son passage, elle prit le parti de lui rendre la liberté en s’éloignant du manoir pendant quelques heures.

Cette fois elle n’était point d’humeur à rechercher le bord de la rivière : la chanson de l’eau lui aurait paru maussade, et d’ailleurs la rive de la Sèvre était aussi le lieu de promenade de l’avocat. Violante se dirigea vers la forêt. On touchait au milieu du jour. Le