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grossiers ou insolens ; au contraire ils étaient doux, bien élevés, distingués, patiens à l’extrême. Par ordre de leurs chefs, les officiers évitaient les duels ; on les coudoyait au théâtre, on leur marchait sur les pieds : ils se taisaient ; sans cela, ils se seraient battus tous les jours. Le sentiment national était intraitable à leur endroit, et il l’est encore. Dernièrement une dame milanaise qui avait porté de l’argent au pape fut reconnue dans sa loge au théâtre, sifflée, huée, jusqu’à être contrainte de sortir par une porte de derrière. Je lis deux ou trois journaux tous les jours, je n’en vois point, sauf l’Unità, qui ne soient patriotes. Les caricatures sont brutales contre le pape ; on voit la Mort, une boule à la main, qui l’atteint entre les jambes de l’empereur Napoléon ; la Mort est un joueur qui fait un coup inattendu et délivre l’Italie. Garibaldi est admiré, exalté, adoré jusque dans les moindres auberges ; le conducteur de la voiture me montre à Varèse la maison où il épousa sa seconde femme, « la mauvaise, » et le mur où il fit sa barricade. On ne peut exprimer à quel degré il est populaire en Italie ; Jeanne d’Arc l’a moins été en France. A Levano, je vois sur le mur du café une inscription portant que le fils de la maison a été tué pour la patrie en combattant en Sicile aux côtés du héros national. Le soir et l’après-midi, aux cafés, sur les places, tous les demi-bourgeois, boutiquiers, commis, lisent leur journal et discutent les plans des ministres. Même, à dire vrai, ils discutent trop, et s’amusent à des paroles. Ces races latines et méridionales semblent composées d’amateurs, qui, ayant la conception prompte et la langue facile, planent et circulent au-dessus de l’action sans s’y engager. Le raisonnement leur plaît par lui-même ; le discours fournit un débouché à leur humeur oratoire ; la conversation politique forme une sorte d’opéra seria dont les suites sont languissantes, parce qu’il est complet en lui-même et se suffit. Ils n’approfondissent pas ; leurs journaux politiques sont autant au-dessous des nôtres que les nôtres sont au-dessous des journaux anglais. On y trouve l’ébullition superficielle des facultés primesautières, mais non la réflexion véritable ou la science solide. Ils divertissent leur esprit, ils ne le tendent pas, et en ce moment l’Italie a plus besoin d’œuvres que de paroles ; les finances sont sa plaie. Pour devenir un peuple indépendant et un état armé, il faut qu’elle paie davantage, partant qu’elle produise et qu’elle travaille davantage. Un bourgeois qui fonde une manufacture, un propriétaire qui draine ses terres, un artisan qui allonge sa journée d’une heure, sont en ce moment les meilleurs citoyens. Il s’agit non de s’exclamer et de lire les journaux, mais de bêcher, de fabriquer, calculer, apprendre, inventer, toutes occupations ennuyeuses, positives, assujettissantes, que volontiers on laisserait