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parmi les populations albanaises d’Occident et d’Orient, c’est qu’il n’entraîne nullement l’indifférence à des intérêts d’un ordre plus sérieux. C’est ce que prouvent les derniers faits notables de l’histoire dont nous avons essayé de retracer les principales époques, — par exemple l’altitude prise par les Albanais italiens dans la période de luttes et de troubles qui est venue aboutir à la chute des Bourbons de Naples. Dès 1833, des scènes caractéristiques révélaient le travail qui se faisait dans les esprits, particulièrement à Cosenza. En 1843, des mouvemens sérieux éclatèrent. Une troupe d’Albanais de Cerzeto et de San-Benedetto entrait à Cosenza en plein jour avec un drapeau tricolore, livrait combat à la garnison, tuait le commandant, fils du philosophe Galuppi, et ne se retirait qu’après avoir reconnu qu’il ne fallait pas compter sur le soulèvement de la ville, qu’on lui avait promis. Deux des chefs de cette expédition eurent une fin tragique. Camodeca fut plus tard passé par les armes à côté des frères Bandiera ; un autre, Petrassi, mourut dans les cachots. En 1848, le frère de ce même Petrassi et d’autres Albanais se prononcèrent d’une manière si décidée en faveur du régime constitutionnel, que le gouvernement, après sa victoire sur le parti libéral, crut devoir prendre des mesures rigoureuses. Ferdinand II appesantit sa main sur le collège que les Albanais nommaient leur albero di vita (arbre de vie), et les chefs de famille dont la présence fut tolérée dans le pays furent classés parmi les attendibili ou suspects. On eut un moment la pensée de quitter le royaume pour aller s’établir en Albanie. De pareilles délibérations donnent une idée de l’irritation des esprits. Agésilas Milano, Albanais exalté, essaya même d’attenter à la vie du roi. On comprend qu’à l’arrivée en Sicile du général Garibaldi les Albanais siciliens n’hésitèrent pas à se prononcer en sa faveur. M. Petta, dans un écrit intitulé Piana dei Greci nella rivoluzione siciliana del 1860, a raconté la part prise par ses compatriotes aux événemens de cette époque. La petite ville de Piana, qui appartient au rite grec et qui est la plus peuplée parmi les localités habitées par les Albanais, était appelée à jouer un rôle important dans l’insurrection. L’enthousiasme ne fut pas moins grand en Calabre. Un seul village de quinze cents âmes envoya trois cents jeunes gens sous les drapeaux du général Garibaldi. La colonne Pace était aux trois quarts composée d’Albanais, et lorsque la sortie inopinée de la garnison de Gaëte frappait de terreur panique les volontaires calabrais, huit jeunes Albanais de San-Demetrio et une quinzaine de Lungro et de Spezzano tinrent tête à l’ennemi et donnèrent le temps aux volontaires de se rallier. Ces faits expliquent le décret élogieux[1] du

  1. « I Greco-Albanesi, dit le décret, i quali si son distinti in tutte le lotte contro la tirannide. »