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dictateur en faveur des Albanais et de l’église grecque unie, que le général paraît avoir confondue avec l’église orthodoxe à cause de la ressemblance du rite.

L’Albanie n’ayant pas réussi, comme la Roumanie et la Serbie, à se constituer sous un gouvernement indigène, il n’est point rare de rencontrer des gens qui s’imaginent que la nationalité albanaise a péri avec Scander-Beg, et que le mot Albanie n’est plus qu’un « terme géographique. » Il serait assez singulier qu’un peuple qui a su résister à la centralisation romaine et plus tard à la centralisation byzantine, auquel les redoutables tsars de Serbie ont été forcés de laisser une existence distincte, n’eût pu se maintenir sous la domination des sultans, qui jusqu’à nos jours avaient plus de souci de soumettre les nationalités que de les fondre dans la nationalité ottomane. Les faits prouvent que non-seulement les Albanais ont protesté contre l’assimilation par une résistance passive, mais qu’ils n’ont laissé échapper aucune occasion d’affirmer qu’ils regardaient la Turquie simplement comme une puissance suzeraine, qu’ils se résignaient bien à être des vassaux, mais qu’ils ne voulaient à aucun prix se transformer en sujets. Sans doute, les Turcs ayant de nos jours emprunté aux empires chrétiens leur zèle pour la centralisation, la nationalité albanaise est exposée à des périls d’un ordre nouveau. Plusieurs mesures destinées à fortifier le pouvoir central ont eu un plein succès ; mais tandis que les Ottomans s’enorgueillissaient de leurs victoires sur les Albanais musulmans, le réveil des chrétiens de la péninsule faisait courir à leur domination des périls dont ils ne peuvent aujourd’hui méconnaître la gravité. On n’ignore nullement dans la Mirdita que la Serbie s’est délivrée des pachas ; on sait fort bien à Janina que la Grèce est indépendante. Des deux côtés du Skoumbi, une sourde agitation fermente dans les clans chrétiens. La cession de Corfou aux Grecs n’a pas calmé ce mouvement, et le drapeau hellénique flottant en vue des côtes albanaises apparaît aux fils de Scander-Beg comme le symbole du triomphe définitif de l’Europe sur l’Asie. Cette situation explique la fréquence des insurrections albanaises. A peine le soulèvement de 1835 était-il apaisé que, l’année suivante, la Toskarie se montrait insoumise, et que Bérat la capitale des Toskes, Bérat réputé imprenable, dont la forteresse semble la clé de l’Albanie, était menacé par des bandes d’insurgés. En 1839 et en 1840, l’agitation se transporta dans le nord, et le nizam turc fut plusieurs fois battu par les chrétiens. En 1847, le sud fermenta de nouveau, les Chamides furent sur pied pendant plusieurs mois ; des bruits menaçans, retentissant jusque dans Janina, durent consoler l’ombre, irritée d’Ali. La guerre d’Orient devenait en 1854 l’occasion de troubles plus sérieux. Malgré