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l’abbé de La Bletterie, professeur au Collège de France, pensait que la plupart des travaux ou mémoires publiés sur Julien n’avaient pas été composés avec assez de sang-froid, et il a donné lui-même l’exemple d’une modération relative. Cependant, quelques années avant la première édition des Fragmens de M. Cousin, avant la connaissance des Vies d’Eunape, des écrivains honnêtes, mais exaltés, en étaient à chercher dans les ouvrages et les actes de Julien des raisons de maudire Voltaire et Napoléon Ier. Depuis, on a mieux consulté les sources ; on s’est placé au point de vue grec, qui n’est pas le seul assurément, mais qu’il n’est pas permis de négliger. Un homme éminent chez qui le sentiment des choses grecques était d’une vivacité et d’une justesse singulières, un voyageur dont les écrits sont le guide le plus sûr de quiconque désire comprendre le sens des monumens et de la nature en Grèce, M. Ampère, a dit de Julien, tel que le montre son buste conservé à Rome : « Il semble chercher l’avenir un peu au hasard ; c’est bien l’homme, qui, en le cherchant, a rencontré le passé[1]. » La première partie de ce jugement est contestable, la seconde est la vérité même. Oui, Julien a cru que l’avenir appartenait au passé, c’est-à-dire à la civilisation et à la religion grecques. C’est là qu’une illusion profonde, mais sincère, lui a fait voir les germes les plus puissans de durée et de vitalité. Julien est né avec une âme grecque ; malgré les apparences, sous ces dehors pieux dont il s’est servi comme d’un rempart contre la cruauté impitoyable de son cousin Constance II, sous ce masque de chrétien qu’il mettait lorsque la mort violente qui avait frappé toute sa famille devenait imminente pour lui, Julien a aimé le paganisme autant qu’un fils aime sa mère et qu’un croyant aime sa foi. Malgré les liens philosophiques qui le rattachent à la métaphysique alexandrine, le soleil est son Dieu[2], Homère est son prophète, Alexandre est son modèle, la théurgie est son culte. Il pleure quand on l’éloigné d’Athènes ; il est fou de joie lorsqu’il y revient. Avant d’être empereur, il est déjà sacrificateur et prêtre ;

  1. Revue du 15 novembre 1857. Voyez aussi un article de M. Saint-René Taillandier dans la Revue du 15 mai 1848.
  2. « Je suis adorateur du soleil roi… Dès mon enfance, j’étais possédé du désir extraordinaire de jouir des rayons du soleil. Aussi, bien jeune encore, je dirigeais toutes mes pensées vers les splendeurs de l’éther, tellement que je désirais non-seulement attacher sur le soleil de longs regards ; mais encore la nuit, lorsque le ciel était sans nuages et pur, je sortais, laissant là tout le reste, et je m’absorbais dans la contemplation des beautés célestes. En ces momens, si l’on me parlait d’autre chose, je n’entendais pas, je ne savais même pas ce que je faisais. Aussi paraissais-je trop captivé par ce genre d’étude, trop curieux, et, quoique encore imberbe, on me soupçonnait d’être habile dans l’art de la divination. Cependant à cette époque je n’avais lu aucun livre sur ces matières, et j’y étais complètement ignorant. » In Regem solem ad Sallustium. — Œuvres de Julien, édit. de Leipzig, p. 130.