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même de fabriquer à discrétion de la poudre. Davoud-Pacha ne pouvait pas plus ignorer que le public, car personne ne s’en cache, que de semblables approvisionnemens existaient presque dans chaque village et surtout dans des localités beaucoup moins mal choisies pour devenir un arsenal d’insurrection que Sarba, siège actuel du gouvernement, occupé, par ses troupes, situé d’ailleurs sur le point du Kesraouan le plus voisin de Beyrout, — le plus accessible aux renforts turcs, que le gouvernement pouvait faire venir en deux heures de cette dernière place. C’était donc évidemment l’ami de Caram bien plus que le conspirateur qu’on avait voulu arrêter. Pour qu’il ne restât pas à cet égard d’incertitude, on arrêtait par la même occasion à Gazir, et toujours avec cet appareil insultant de mise aux fers, un certain Boghos, beau parleur caramiste d’assez mince consistance, mais qui avait dans l’occasion le mérite d’être le beau-frère même de Caram, c’est-à-dire d’être encore plus particulièrement désigné par le point d’honneur local à la protection du chef maronite. C’était prendre deux fois celui-ci par son faible.

Caram envoya demander la mise en liberté de ses deux cliens, qu’il soutenait avoir été arrêtés illégalement. Ses envoyés furent traités en ennemis, et c’est alors qu’il marcha sur Sarba et Gazir (premiers jours de janvier 1866). Dire qu’il venait en solliciteur, que son escorte de douze à quinze cents paysans armés n’était qu’un moyen de pression morale, serait d’autant plus abuser du droit d’atténuation que la jonction de l’émir outlaw des Métoualis avec le chef maronite ne pouvait pas laisser le moindre doute sur le caractère de ce mouvement[1]. La faute, la grande maladresse de Caram, c’est plutôt de n’avoir pas formulé au début sa pensée et fait nettement appel aux défiances nationales contre la politique d’occupation ; c’est d’avoir, par je ne sais quels scrupules arabes de finesse, mis gratuitement dans sa poche le drapeau qui pouvait rallier tout le monde pour rapetisser la question nationale au niveau de deux griefs qui n’excitaient que division ou indifférence : la mésaventure Boghos, dont le Liban ne tressaillait certes pas, et qui, en prêtant à rire aux anti-caramistes, aigrissait et séparait plus profondément les élémens locaux, — puis les plaintes relatives à l’impôt arriéré, que Caram avait laissées devenir le cri de guerre définitif de sa troupe, et où la moitié du pays, en règle avec le fisc, était au moins désintéressée.

Ajoutons que par son incorrigible réserve, son hésitation à

  1. L’émir Selman Harfousch avait avec les Caram des liens de courtoisie féodale qui ne se dénouaient même pas dans les petites guerres assez fréquentes entre les deux familles, et un autre lien encore plus puissant, la haine des Turcs, qui, après avoir dépouillé sa maison de la souveraineté de la Beqâa et lui avoir enlevé à lui-même tout ce qu’il possédait, l’appellent comme de raison brigand.