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constitue le point d’honneur arabe ; il prit feu pour l’insulté et les maîtres de l’insulté. Il se trouva ainsi personnellement affiché dans l’affaire de vendetta née de cet incident, et qui par cela même passionna d’une façon exceptionnelle le groupe de localités dont il s’agit, divisées plus que jamais à cette occasion en caramistes et anti-caramistes. C’est le propre de ces sortes de démêlés que chacune des parties soit à tour de rôle dans son tort. L’autorité choisit pour intervenir juste le moment où les torts étaient du côté caramiste, ce qui mettait Davoud-Pacha de moitié dans la cause des anti-caramistes et par réciprocité ceux-ci de moitié encore dans la cause de Davoud-Pacha. Amenée dans ces circonstances-là par un coup de tête quelconque de Youssef Caram, et pourvu qu’on eût la précaution d’agir vivement, de ne pas laisser aux animosités locales le temps de se reconnaître, l’invasion turque pouvait espérer la miraculeuse chance de faire son entrée dans le Kesraouan sous pavillon maronite. Quant à la petite milice indigène, outre qu’elle ne s’était pas recrutée dans le parti de Youssef Caram, elle lui serait d’autant moins favorable qu’elle avait un compte d’amour-propre à régler avec les paysans du nord. Sur la foi de la savante longanimité du gouvernement de Beit-ed-Din, ceux-ci avaient laissé rarement échapper l’occasion de narguer et de défier les « zaptiès du pacha. » En dépit du manque de confiance qu’il avait affecté envers cette milice tant qu’il s’était agi de préparer les voies aux Cosaques ottomans, Davoud-Pacha faisait si bien fond sur elle, qu’il la renforça pour la circonstance de quelques centaines d’irréguliers ayant presque tous traversé ses cadres et s’y étant pénétrés de son esprit. Les miliciens, joints à la portion sûre de la population, devaient suffire amplement à tenir en respect les quartiers caramistes. Quant aux Cosaques et à leur colonel turc, dont la présence aurait pu jeter un peu de froid sur cette querelle de famille, ils avaient une autre destination. Il ne s’agissait plus que d’attirer Caram dans ce traquenard, et l’honorable, mais très inopportune susceptibilité à laquelle le chef maronite venait d’obéir en réveillant à son très grand détriment les dissidences locales suggéra au gouverneur-général l’expédient voulu.

Quand tout fut prêt à Sarba, à Djounié, à Gazir, et qu’avis eut été vraisemblablement donné à Beyrout, à Tripoli, à Damas, à Constantinople, de se tenir en mesure d’exploiter la crise avant qu’on pût en discerner le caractère factice[1], la police découvrit à Sarba une provision de poudre chez un notable caramiste qu’on mit pompeusement aux fers. On n’a jamais interdit, dans le Liban, d’avoir et

  1. Les « secours » demandés par Davoud-Pacha lui ont été expédiés avec une promptitude qui sort beaucoup des habitudes de l’administration militaire turque.