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de ce genre ! — Ceux qui parlaient ainsi ne se rappelaient pas sans doute qu’il y a quelques années le recueil des Contemplations, dont le seul défaut était d’être trop touffu et de présenter l’aspect d’une botte de fleurs énorme, grossie volontairement de toute sorte d’herbes folles ou bizarres, avait déjà donné lieu aux mêmes suppositions, et que presque aussitôt après le poète avait répondu à ses détracteurs trop pressés par ce recueil de la Légende des Siècles, encore si peu apprécié à sa vraie valeur, et qui est peut-être la plus belle œuvre poétique sortie de sa plume. Les Travailleurs de la Mer viennent de faire éprouver la même mésaventure aux railleurs des Chansons des Rues et des Bois. Encore une fois, le maître vient d’affirmer sa puissance et de forcer ses lecteurs de répéter à son sujet cet hémistiche de son orientale sur Napoléon : Lui, toujours lui.

Le livre a des défauts, et de très nombreux ; il a d’abord ceux qui sont inhérens à la nature même, et, si nous osons ainsi parler, à l’organisme du talent de l’auteur : l’abus de l’antithèse, la recherche des images excessives et des épithètes énormes, et surtout ces deux manies de plus en plus prononcées et de plus en plus fatigantes : l’emploi exagéré de l’article indéfini et le mariage violent et bizarre de substantifs accolés ensemble, dont l’un est pris comme adjectif et sert de qualificatif à l’autre. Toutefois ces défauts sont tellement connus qu’il suffit de les nommer en passant, et tellement évidens que tout lecteur, si myope qu’il soit, les découvrira de lui-même sans le secours de la critique. D’ailleurs, s’il faut dire toute notre pensée, nous n’avons jamais trouvé que la guerre qu’on fait à ce sujet à M. Hugo fût précisément loyale. Il a lui-même émis quelque part, — à propos de Shakspeare, si ma mémoire est bonne, — une théorie qui équivaut à peu près à celle-ci : un grand talent ne peut se comprendre sans une certaine somme de défauts équivalente et correspondante à celle de ses qualités, et il est vraiment singulier que notre intelligence refuse au génie l’immunité qu’elle accorde si facilement à la nature. Qui donc a jamais songé à reprocher à un rocher d’être escarpé ou à une cime de donner le vertige ? Il est certain cependant que cette qualité d’être escarpé est en un certain sens un défaut chez le rocher, puisqu’elle exige un effort de quiconque se mettra en tête de le gravir, et il est certain aussi que cette puissance de vertige que possèdent les hautes cimes pourrait passer pour une méchanceté et une noirceur de leur façon. Si vous voulez la sublime horreur des montagnes alpestres, acceptez leurs abîmes et leurs avalanches de neige. Si vous voulez la majesté et la grandeur classiques des paysages de l’Italie, acceptez la netteté un peu rigide de ses horizons et la configuration un peu sèche