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jolie églogue. Le Dagblad a donc parlé selon son habitude, il a même trop parlé, car il promettait une révélation, et la révélation n’est pas venue. La voix de Mlle Nilsson, toute dans le haut, ici ne sait où se prendre ; le meilleur de sa sonorité ne trouve pas d’emploi. On dirait un cygne qui marche ; lourdeur, empâtement, gaucherie, dont un affreux accent scandinave, ailleurs déguisé par le récitatif et que cette fois trahit le dialogue, vient encore accroître la disgrâce ! Le seul effet qu’elle parvienne à décrocher dans la soirée est un effet qu’elle emprunte à la partie de dona Anna dans le trio des masques. Curieuse manière, mais aussi peut-être un peu trop fantaisiste, d’interpréter Mozart que de se passer ainsi la note, comme si dans cet admirable morceau tout n’avait pas été, jusqu’au moindre soupir, réglé, défini, accentué, précisé par le maître ! comme si ce n’était pas commettre le plus barbare des contre-sens que de découvrir en pleine lumière par ce trait final le personnage relativement secondaire d’Elvire, tandis qu’on efface d’autant dona Anna, l’héroïne, le soprano, le spiritus rector de cette scène, de ce chef-d’œuvre ! Rôle bien ingrat en effet quelquefois que ce rôle de dona Elvire ! Voyons maintenant Zerline. On vous disait d’avance : « Vous entendrez Mme Miolan, c’est la perfection ! » Oui, peut-être dans un salon, mais à coup sûr pas au théâtre. Mme Miolan-Carvalho a le respect, le culte de Mozart, et je l’en félicite. Il semble néanmoins que pour elle l’auteur des Noces de Figaro, de la Flûte enchantée et de Don Juan n’ait jamais eu qu’une corde à sa lyre, corde amollie, languissante, pleurarde et définitivement trop caressée. Mme Miolan chante Mozart sur le mode lydien. Beaucoup de style, beaucoup d’art, avec une intonation qui déjà n’a plus la précision chronométrique d’autrefois ; mais du caractère du personnage, pas une note ! Cette Zerline-là phrase son batti, batti, du même air dont elle débiterait voi che sapete. Mme Miolan n’individualise pas, il lui suffit de chanter la note. In principio erat Verbum ; Mme Miolan oublie trop que la note n’est venue qu’après. Pamina, Chérubin, Zerline, peu lui importe ! quel que soit le rôle qu’elle chante, elle reste Mme Miolan-Carvalho, une virtuose exquise, ayant toujours conscience de son excellence et trop intimement persuadée de ce qu’elle doit à sa propre maestria pour jamais laisser l’inspiration lui faire perdre terre. N’y a-t-il donc rien pour l’inspiration d’une artiste dans ce caractère villageois si ému, si coquet, si raffiné, de Zerline, un vrai Greuze du bon temps de la Cruche cassée ? Pas plus que la Patti, Mme Miolan ne joue le rôle ; reste à savoir laquelle des deux le chante mieux. Au concert, Mme Miolan a pour elle son expérience, mais au théâtre la Patti a ses vingt ans. Inutile maintenant d’insister après tout le monde sur l’insuffisance de l’orchestre du Théâtre-Lyrique, sur la pauvreté des chœurs. Ainsi rendu chichement, le grand finale ne produit aucun effet, et dans la scène du commandeur le fameux coup de fouet chromatique passe inaperçu. Eh bien non ! décidément le Don Juan de Mozart n’est pas un opéra-comique.


F. DE LAGENEVAIS.