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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.



14 mai 1866.

On n’attend point de nous que nous revenions avec une paresseuse lenteur sur les faits qui ont marqué depuis quinze jours le développement de la crise où l’Europe se trouve. Les faits vieillissent vite dans ces temps d’ardente anxiété, et c’est bien dans ces momens-là qu’il est permis de dire que Saturne dévore ses enfans. Le passé d’hier est déjà trop lointain quand l’avenir le plus prochain montre aux peuples inquiets le péril d’une guerre immense et obscure. Ce qui est derrière nous n’a plus d’intérêt ; ce sont les menaçans brouillards qui sont devant nous qu’on voudrait percer. Que ce sentiment soit notre excuse, si nous ne consacrons point un examen patient à deux discours qui ont excité dans ces dernières semaines des émotions fort diverses en France et en Europe, — le discours que M. Thiers a prononcé aux applaudissemens unanimes du corps législatif, l’allocution adressée par l’empereur au maire d’Auxerre, allocution qui a échappé sur les lieux à l’attention d’un auditoire officiel ou rustique, mais qui, en passant par le Moniteur, a bruyamment retenti dans le monde. Il suffit de dire du discours de M. Thiers qu’il a été une bonne action, et l’accomplissement honnête et glorieux d’un véritable devoir de conscience. La note intense et profonde de cette pénétrante éloquence a été l’amour de l’humanité et la plus sincère sollicitude qu’on puisse ressentir pour la sécurité et l’honneur de notre patrie. On a pu voir là comment une âme parle à des âmes. Ainsi s’explique l’attendrissement enthousiaste qui a répondu aux effusions de M. Thiers de la part d’une assemblée qui n’a point l’habitude de gâter ce grand orateur. La chambre s’est associée par un élan qui l’honore à une manifestation généreuse et sensée en faveur de la paix. — Ils ont montré une extrême mesquinerie d’esprit et une étonnante maladresse de sentiment, ceux qui, méconnaissant le caractère de cette manifestation spontanée, ont cherché querelle à M. Thiers à propos de dissidences qui, devant le grand intérêt de la paix du monde, n’ont plus qu’une importance