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d’où s’élancent ces vigoureuses branches qui à travers l’Angleterre vont s’étendre jusqu’au far-west. Le Rhin allemand par maint endroit s’imprègne pourtant trop de l’atmosphère gauloise et franque pour être tout à fait la patrie allemande que veut Arndt, tandis qu’entre le Danube et l’Elbe, entre la Moldau et le Weser, est encore à demeure le peuple originel, cet Urvolk, qui, venu du Gange, va au Hudson, et aux influences duquel, depuis près de deux mille ans, aucune race, aucune civilisation n’échappèrent.

L’Allemagne est trop vaste, trop multiforme pour trouver son unité ailleurs que dans une idée, et pour toutes ces nationalités sans exception, ce qui les unit, c’est l’idée de l’intelligence, le Culturelement, que le Germain prétend représenter par opposition à tous les autres peuples dont il cherche ou subit le contact. De là sa lenteur à reconnaître, à accepter ces accidens heureux par lesquels d’autres races plus vives se laissent si aisément captiver. Il est peut-être le seul peuple qui ne se courbe pas devant le succès. Goethe, Schiller, Kant, Beethoven, sont une patrie pour les Allemands bien plus encore que le territoire spécial où ils naissent. Quand un souverain vient à donner contre des temps de crise, il n’est point rare de le voir s’absorber dans la contemplation, l’étude, préférer à ce qu’on nomme vulgairement le tourbillon des affaires le recueillement, l’air des cimes où l’on se retrempe pour les grandes luttes. Élever son âme avec Beethoven, avec les Niebelungen, qui sait (n’en déplaise aux chancelleries) si ce moyen de s’initier à l’œuvre du gouvernement n’en vaudrait pas un autre ? Quoi qu’il en soit, les constitutions de l’Allemagne, nous les avons, non point étudiées d’une façon abstraite et théorique comme on étudierait la république de Platon ou le gouvernement de Salente, mais pratiquées, vécues en quelque sorte, et nous savons ce qu’elles valent pour la sécurité, la dignité de l’individu, la paix de l’esprit, la respectabilité des mœurs. C’est à ce particularisme bien entendu, qui, sous quelque forme que les prochains remaniemens s’accomplissent, conservera toujours ses droits, c’est à ce particularisme fédéral que nous devons d’avoir embrassé le grand ensemble. Les temps alors étaient au calme, rien ne se laissait pressentir des funestes déchiremens de l’heure présente ; nul appel aux armes, nulle ombre de mort ne bouleversait, n’attristait ce paysage vers lequel chaque été nous ramenait le culte d’une auguste amitié qui depuis vingt ans ne s’est jamais démentie. Ceci suffira pour expliquer certaines digressions du côté de la fantaisie, auxquelles notre sujet d’ailleurs se prête, étant de ceux qui, pour nous servir d’un mot de Jean-Paul, comportent tout, « des couchers de soleil sur les Alpes et des reichstags à Worms. » Et puis n’est-ce pas un voyage que nous voulons écrire, et que serait