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complètement restauré. « Les états du prince à qui j’ai voué mon existence sont petits, mais son cœur est grand, » disait Goethe en parlant de son maître et ami Charles-Auguste. Le mot qui s’appliquait à l’aïeul convient également au petit-fils. Pour rendre à son pays et à l’Allemagne ce monument, l’un des plus précieux de leur histoire, rien ne lui a coûté ; à ses frais, des légions d’hommes ont vécu là des années sur la montagne, taillant la pierre, sculptant le bois. M. Rietgen a dirigé l’architecture ; M. Schwind, de Munich, a peint les fresques, et telle qu’elle exista jadis se montre aujourd’hui cette merveille du moyen âge avec ses terrasses superposées dans le vide, ses pignons à têtes de Gorgone, ses trèfles aux balcons, ses ogives et ses créneaux. La grande salle des chevaliers, naguère délabrée, ouverte aux quatre vents, qui, la pluie et la grêle aidant, faisaient rage, a recouvré son ancien éclat. Sur les murs, témoins de la fameuse guerre de la Wartbourg et de tant d’épisodes héroïques, revit et foisonne toute une héraldique ménagerie, grimpent, s’enroulent à l’infini des arabesques d’argent, d’azur et de sinople. La sculpture sur bois a produit ici de vrais chefs-d’œuvre ; depuis Adam Veit et les maîtres de l’école de Nuremberg, je ne crois pas qu’on ait rien inventé de plus feuillu, de plus curieux. C’est l’arche de Noé, la vie sous toutes ses formes, comme dans ces tableaux d’Albert Dürer où l’idée de fécondité universelle se rattache incessamment à l’idée de la Vierge mère, la Cybèle chrétienne. Des ours, des singes et des chats dans les plus amusantes postures, des lions couchés ou passans, des aigles éployés, accroupis, jusqu’à des lapins se peignant au soleil, des écureuils rongeant leurs noix ! tout cela plein d’audace et de maestria, vigoureusement fouillé, moins réel que Barye, mais d’une fantaisie qui n’enlève à la vie aucun semblant ! Les Allemands sont très habiles à ces reproductions du moyen âge. Tout le monde sait ce qui s’est fait à Düsseldorf, à Munich, dans ce genre ; la restauration de la Wartbourg offre une preuve nouvelle de cette rare aptitude à se pénétrer de l’esprit d’une époque. Je reprocherais même parfois à cet archaïsme d’être de l’âge qu’il s’attache à reproduire un peu plus qu’il ne faudrait pour le bien de l’œuvre, de trop souligner le trait, ainsi qu’il arrive à M. Schwind dans ses fresques, de faire du naïf de parti-pris.

Dans les familles qui se perpétuent, il est à remarquer que la nature finit toujours par créer un individu qui réunit en soi les qualités et les défauts de ses ancêtres, et nous apparaît comme le résumé complet de toutes les dispositions bonnes et mauvaises dont on n’avait observé jusqu’alors que des manifestations isolées. La même chose doit pouvoir se dire de certains paysages qui sembleraient à un moment donné avoir trouvé leur expression suprême,