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LES SEPT CROIX-DE-VIE.

— Faites comme nous sommes, continua la douairière, nous aurions bien pu passer dix ans dans le même lieu sans nous rapprocher, ni presque nous connaître ; mais vous avez fait le premier pas… Je raffole de votre chevelure, ma chère enfant.

— Ce sont des cheveux blonds, madame.

— Eh ! les miens aussi étaient blonds. Ils ne valaient pas les vôtres… Trouverez-vous ici quelque plaisir ? Je n’ose m’en flatter. Je suis vieille, et, ma foi, il conviendrait aussi que je ne fusse point gaie à mon âge,… mais je ne le peux. Ce qu’il y a de pis, le savez-vous ? c’est que je n’aime pas les personnes tristes.

— Madame la marquise, dit Violante en souriant franchement pour cette fois, je vous assure que je ne le suis point.

— Je le sais, je le sais ; vous êtes seulement sérieuse… La ravissante toilette que vous avez là ! Je vous étonnerais peut-être si je vous disais que j’ai toujours considéré la science de la parure chez les femmes comme une grâce particulière. C’est un don du ciel. Au moins le soin de vous habiller si bien doit-il vous occuper quelques heures. C’est autant de pris sur l’ennemi… Mais, grand Dieu ! que pouvez-vous faire le reste du jour dans le vilain manoir de votre père ?

— J’attends le lendemain.

— Oui, reprit la douairière, et vous regrettez le passé. Vous pleurez peut-être bien encore vos belles montagnes que vous aimiez tant… Tenez, vous êtes charmante, et, si sérieuse qu’on doive vous voir, votre présence ici sera toujours comme un lever de soleil. Ah ! la belle chose que la jeunesse, et que cela fait de plaisir à regarder à de vieux yeux comme les miens !

Mais Violante ne pouvait plus lui prêter qu’une attention distraite. Un entretien bien différent qui se poursuivait dans une autre partie de ce vaste salon l’attirait malgré elle. La marquise le voyait bien, et n’avait envie ni de s’en offenser ni de s’en plaindre.

— Eh ! vraiment, fit-elle, que disent-ils donc là-bas ? Le marquis et votre père sont rarement d’accord. Savez-vous quel est le sujet de la querelle ?

— Point du tout, madame, répondit Violante.

— Monsieur le marquis, disait avec emphase l’avocat Lescalopier, je sais les respects que je vous dois, vous connaissez ceux que je vous porte ; mais pour cette fois je vous contredirai au risque de vous déplaire…

— Vous ne sauriez me déplaire, monsieur, dit sèchement le marquis.

— On ne m’empêchera pas de parler de l’affaire de Tiffauges, s’écria l’avocat, on ne m’empêchera point de dire que je ne connais rien de plus beau dans l’histoire de l’antiquité tout entière. Le trait