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disciples des entretiens particuliers où il leur expliquait les enseignemens parfois énigmatiques qu’il avait adressés à la multitude et sur l’institution de la discipline du secret (disciplina arcani) qui fut en vigueur dans la primitive église jusqu’après Constantin. Malheureusement ce n’est pas la doctrine seule du quatrième Évangile qui est démentie par les synoptiques, c’est aussi son histoire. S’imagine-t-on d’ailleurs le singulier caractère qu’une doctrine ésotérique, cette ressource théâtrale des partis ou des sectes qui n’ont au fond rien à apprendre au monde que le monde ne sache déjà, donnerait à celui qui est mort martyr de sa franchise ? Enfin ne savons-nous pas de quel genre étaient les explications données par Jésus à ses disciples de prédilection, et aussi ce que c’était que cette « discipline du secret, » qui ne cachait en réalité rien du tout, et dont l’église, habile de bonne heure à’ donner à son culte une apparence de mystère favorable aux prétentions sacerdotales, crut devoir invoquer le prestige de la fin du IIe siècle à la fin du IVe ? Rien de tout cela n’a le moindre rapport avec la doctrine du quatrième Évangile.

En revanche on peut s’assurer combien la critique des Évangiles est loin désormais des régions nébuleuses où l’hégélianisme de droite et de gauche, M. Strauss en tête, aimait à la laisser vaguer. Ce dernier l’a tien senti, quoiqu’il ne veuille guère en convenir, et sa nouvelle Vie de Jésus en fournit plus d’une fois la preuve. Il n’est plus permis aujourd’hui dans la science sérieuse de parler d’un Christ imaginaire plaqué sur un Juif de génie, mais parfaitement inconnu, par le caprice d’une église fondée on ne sait comment ni à propos de quoi. Quand on peut remonter aussi près de sa personne que les deux principaux documens transcrits par les synoptiques, on aurait mauvaise grâce à vouloir à toute force la faire évaporer en brume impalpable. Ce n’est pas sans doute que l’histoire évangélique soit d’un bout à l’autre égale à elle-même sous le rapport de la réalité. Le symbolisme inconscient ou réfléchi, l’amour naïf du merveilleux, la tendance à objectiver dans des faits extérieurs ce qui à l’origine ne fut bien souvent qu’une pensée, qu’un sentiment, qu’un enseignement figuré, ont marqué leur empreinte évidente sur bien des récits des synoptiques, et en vérité, si nous pensons au temps, au sujet, aux habitudes d’esprit, le miracle eût été qu’il en fût autrement. L’histoire évangélique est semblable à un soleil reluisant au milieu d’une vapeur assez légère pour que le disque apparaisse clair et rayonnant à nos yeux, assez forte toutefois pour que les rayons de la circonférence se perdent lentement dans une pénombre de plus en plus indécise. C’est ainsi que le commencement et la fin de l’histoire évangélique se dérobent à notre curiosité d’historien pour ne plus parler qu’au sens