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mystique de l’homme religieux. Au centre même, bien des obscurités de détail, tenant à la nature des sources, feront toujours le désespoir de quiconque voudra retracer la vie de Jésus. A vrai dire, je doute qu’on puisse écrire une vie de Jésus, j’entends une vraie biographie, et je loue M. Schenkel d’avoir préféré nous donner un Characterbild, un portrait moral. Au fait, que nous faut-il de plus ? Les grandes lignes, les traits essentiels de l’histoire évangélique ne sont pas douteux. Le Fils de l’homme se levant en Galilée pour prêcher une doctrine d’une incomparable pureté morale, aimant le passé religieux de. son peuple, mais brisant avec tout servilisme traditionnel, ramenant à l’intérieur de l’homme toute sa valeur religieuse, entrant dès lors en conflit avec les traditionalistes et les bigots, non moins qu’avec les irréligieux de son temps, et succombant physiquement ; en vertu de sa perfection même, dans cette lutte inévitable et inégale, pour triompher d’autant plus glorieusement dans le royaume de l’esprit, — voilà l’élément irréductible, fondamental et certain de cette histoire ; mais de plus sur ce fond d’une beauté pure, qui seulement resterait bien abstrait, si nous n’avions rien qui lui donnât vie et consistance, les documens évangéliques placent quantité de paroles et d’incidens dont la réalité historique est en proportion de la relation directe et logique de ces incidens et de ces paroles avec la situation dont nous résumons l’essence, et de la validité des sources qui nous les transmettent. Laissons de côté pour le moment la question des miracles : chacun la résout au gré de ses préférences, et en définitive elle n’influe en rien sur ce qui nous reste à dire. Quoi de plus instructif, de plus révélateur, non-seulement de la doctrine, mais encore de la conscience et du cœur de Jésus, que les « sentences » recueillies par l’apôtre Matthieu et reproduites en tout et en partie par deux de nos synoptiques ? N’est-ce pas là que l’humanité cherchera toujours la bénédiction des humbles, des miséricordieux, des cœurs purs, des hommes dévorés par la faim et la soif de la justice ? N’est-ce pas là que les cœurs travaillés et chargés iront toujours écouter la voix aimante qui les invite à venir ? N’est-ce pas là que les hypocrisies, les intolérances, les instincts persécuteurs retrouveront toujours leur condamnation foudroyante, là que l’on apprendra toujours à faire en secret ses aumônes et ses prières, là enfin que les grands repentirs puiseront les paroles qui relèvent d’autant mieux que celui qui les prononça fut lui-même plus saint et plus pur ? L’homme qui n’entend pas, en lisant de telles paroles, le battement du cœur qui les inspira ne doit pas se mêler d’écrire l’histoire. Il lui manque le sens des réalités, et il ferait aussi bien de disserter sur le génie d’une langue inconnue.

Et quelle richesse de formes, de caractères, de situations dessinés d’après nature, un document tel que le Proto-Marc, reproduit