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elle écrit déjà à sa mère : « Le roi a mille bontés pour moi, mais c’est à faire pitié la faiblesse qu’il a pour Mme Dubarry, qui est la plus sotte et impertinente créature qui soit imaginable. » Un tel langage sur le compte de la maîtresse royale devenait dangereux au lendemain de son nouveau triomphe ; aussi voit-on l’impératrice Marie-Thérèse insister, presser, exiger, si bien que le 13 septembre 1771 la pauvre dauphine n’y tient plus. Malgré son respect profond pour sa mère, elle lui répond avec une sorte d’impatience qui a bien sa dignité : « J’ai des raisons de croire que le roi ne désire pas de lui-même que je parle à la Barry ; cette femme et sa clique ne seraient pas contentes d’une parole, et ce serait toujours à recommencer. Vous pouvez être assurée que je n’ai pas besoin d’être conduite par personne pour tout ce qui est de l’honnêteté. » Elle revient encore à ce sujet à la fin de la même lettre : « Pour vous faire voir l’injustice des amis de la Barry, je dois vous dire que je lui ai parlé à Marly ; je ne dis pas que je ne lui parlerai jamais, mais je ne puis convenir de lui parler à jour et à heure marqués pour qu’elle le dise d’avance et en fasse triomphe. Je vous demande pardon de ce que je vous ai mandé si vivement sur ce chapitre ; si vous aviez pu voir la peine que m’a faite votre chère lettre, vous excuseriez bien le trouble de mes termes. » Une autre que Marie-Thérèse aurait craint d’aller plus avant ; mais elle, avec une infatigable ardeur qui ne connaît ni attendrissement ni faiblesse, répète incessamment ce qu’elle a tant de fois recommandé. Même, prenant le ton d’accusatrice, elle reproche à sa fille d’oser manquer au roi dans ce qu’il souhaite : « Vous ne devez connaître ni voir la Barry, dit-elle, d’un autre œil que d’une dame admise à la cour et à la société du roi. Vous êtes la première sujette de lui, vous lui devez obéissance et soumission… Si on exigeait des bassesses, des familiarités, ni moi ni personne ne pourrait vous les conseiller, mais une parole indifférente, de certains regards, non pour la dame, mais pour votre grand’père, votre maître, votre bienfaiteur… » La dauphine paraît se résigner devant cette insistance : « Les amies et amis de cette créature, écrit-elle, n’ont pas à se plaindre que je la traite mal. » Qui ne comprend qu’en écrivant ces lignes elle a les yeux voilés de secrètes larmes ? Le dépit l’étouffe ; elle lutte péniblement entre une irritation lentement accrue et sa respectueuse affection pour sa mère, et puis elle se relève, elle s’écrie : « Je sacrifierai mes préjugés et répugnances tant qu’on ne me proposera rien d’affiché et contre l’honneur ! » — Croira-t-on que cette même dauphine éloquente et fière, cette même impératrice si inquiète, aient l’une écrit et l’autre accepté de sang-froid, précisément au moment de cette lutte, le portrait