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cela sur une lettre voisine, dans le même volume de M. Feuillet de Conches, où l’on fait dire à Louis XVI un samedi qu’il ira le lendemain à la procession de la Fête-Dieu, comme si tout le monde ne savait pas que cette fête, avant le concordat, n’avait lieu que le jeudi, — ou bien encore s’il rencontre une prétendue lettre du roi, datée du 14 janvier 1775, disant qu’il a été entendre à Paris l’opéra d’Iphigénie en Aulide de Gluck, et qu’il en a été charmé. Ne sait-on pas que Louis XVI, depuis son avènement, ne venait point de Versailles aux spectacles de Paris ? il n’y assista que lorsqu’il fut prisonnier dans la capitale. Ce pouvait être par un effort de réaction morale contre le règne de Louis XV ; c’était aussi qu’il avait peu de goût soit pour la musique, soit pour ce que la scène française pouvait offrir de plaisirs élevés. Marie-Antoinette, qui voulait lui procurer quelque distraction, avait imaginé de lui donner des spectacles « dans l’intérieur, » comme on disait, c’est-à-dire à Trianon, à Choisy. Des parodies, des parades d’un goût équivoque l’amusèrent : « On peut juger par là, disent les Mémoires secrets, combien sa majesté a encore l’ingénuité du bel âge et aime à rire. On était assez embarrassé jusqu’à présent de lui connaître aucun goût en fait de théâtre, et le voilà découvert… » Le chroniqueur ajoute : « On ne croit pas que la reine se plaise infiniment d’elle-même à ce genre de spectacle, mais son dessein d’amuser le roi l’a engagée à s’y prêter et à affecter de le goûter. » Tout cela rend déjà peu vraisemblable la lettre qu’on prête à Louis XVI. Pour arriver à la certitude sur le caractère apocryphe de cette pièce, il n’y a plus qu’à ouvrir l’Almanach des spectacles, ou les Mémoires secrets, ou dix autres ouvrages ; partout on a le récit de cette représentation du 13 janvier 1775. La cour avait tout récemment quitté le deuil de Louis XV, et Marie-Antoinette venait pour la première fois comme reine au théâtre ; elle eut une ovation aux premiers mots de ce chœur : Chantons, célébrons notre reine,… hommage éphémère qui devait se renouveler pour elle, à propos du même opéra et des mêmes paroles, mais au milieu de bien autres circonstances, dix-sept ans après, le 28 décembre 1791. La soirée du 13 janvier 1775 n’avait pas dû passer inaperçue, et en effet les écrits du temps la décrivent en détail : la reine y était accompagnée de Madame et de Monsieur, du comte et de la comtesse d’Artois, mais du roi il n’est jamais question. Il n’y était pas et n’a donc pas pu écrire la lettre supposée.

Que ne recueillait-on, au lieu d’accepter des pièces qu’un examen attentif aurait si aisément démontrées fausses et dont la provenance devait être équivoque, toutes les lettres fort authentiques de Louis XVI que renferme notre riche dépôt des Archives générales ? On aurait pu donner de la sorte, au prix de courtes et faciles