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L’intérêt de nos deux états et de notre sainte religion exige que nous nous tenions aussi étroitement liés d’intérêt comme de famille. » En 1778 éclate cette guerre de la succession de Bavière qui découvrit l’ambition de la maison d’Autriche, mit en danger l’indépendance de l’Allemagne, et fournit au roi de Prusse l’occasion d’un rôle glorieux comme défenseur des libertés germaniques. Marie-Thérèse tremble tout d’abord de voir s’accomplir une alliance entre la Russie, la Prusse et la France ; elle voudrait obtenir, sinon un secours direct, au moins une diversion de notre côté, ou quelque démonstration diplomatique, et c’est par Marie-Antoinette qu’elle espère obtenir ces bons offices du cabinet de Versailles. « C’est en ce moment-ci que j’ai besoin de tous vos sentimens pour moi, votre maison et patrie… Le roi de Prusse fait toutes les cajoleries et avances possibles, on connaît cela, quand il veut venir à son but ; mais, y étant, il oublie tout et fait même tout le contraire, ne tenant jamais sa parole. Il voudrait faire une alliance entre la France, la Russie et lui ; voilà les deux puissances qu’on veut substituer à nous, bons et honnêtes Allemands… Notre sainte religion recevrait le dernier coup, et les mœurs et la bonne foi devraient alors se chercher parmi les barbares… J’espère, si le roi est au fait, qu’il ne se laissera pas entraîner par des méchans, comptant sur sa justice et sa tendresse pour sa chère petite femme… L’empereur et votre frère (Maximilien) seraient ici les premiers acteurs : l’idée seule me fait presque succomber, mais je ne saurais l’empêcher, et si je n’y succombe, mes jours seraient pires que la mort… La tête me tourne, sauvez une mère qui n’en peut plus, vos deux frères et votre patrie. » Marie-Antoinette n’avait pas besoin d’être si vivement pressée : on la voit tout d’abord intervenir avec une sorte de passion fiévreuse dans ce qu’elle appelle « la circonstance la plus importante de sa vie. » Elle envoie à sa mère toutes les informations qui l’intéressent, lui dit chaque courrier qui vient du roi de Prusse, s’irrite si le ministère ou le roi lui cache une dépêche, à elle ou bien à Mercy ; elle agit enfin directement auprès du roi et des ministres, et cette ardeur va durer tout le temps de la guerre. C’est le moment de sa première grossesse : les nouveaux droits qu’elle acquiert par là, elle prétend les faire servir aux intérêts de la cour de Vienne.

Admirons ici combien la vérité historique est souvent difficile à conquérir et de quel prix sont les sincères documens qui nous en assurent la conquête. Nul plus que nous ne professe une haute estime pour l’excellente publication de M. de Bacourt qui nous a fait connaître la correspondance entre Mirabeau et le comte de La Marck. On sait l’autorité de ce recueil et tout le crédit que méritent