Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/671

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dès le commencement du règne sa vraie pensée à ce sujet ; on remarquera en même temps le ton de fermeté de ces dépêches, ce bon style d’affaires et ces qualités de roi qui devaient s’amoindrir un jour.


« Je vous renvoie, monsieur, la dépêche de M. de Saint-Priest. Je ne crois pas que la maison d’Autriche entende son intérêt en ne voulant pas demander la liberté du commerce de la Mer-Noire. Toutes les démarches que ce cabinet fait depuis quelque temps sont bien obscures et bien fausses. Je crois qu’il est embarrassé de ses nouvelles usurpations en Moldavie, et qu’il ne sait comment se les faire adjuger. La cour de Russie les désapprouve, et la Porte ne consentira jamais à les céder à l’empereur. Je ne crois nullement à ce nouvel accord entre les cours copartageantes ; je les crois plutôt en observation vis-à-vis les unes des autres et se défiant d’elles mutuellement. Pour ce qui est de l’invasion que les troupes de l’empereur ont faite dans l’état de Venise, je n’y vois nulle raison ; mais la loi du plus fort est toujours la meilleure. Elle dénote bien le caractère ambitieux et despote de l’empereur, dont il ne s’est pas caché au baron de Breteuil. Il faut croire qu’il a su fasciner absolument les yeux de sa mère, car toutes ses usurpations n’étaient pas dans son goût, et elle l’avait bien déclaré au commencement. La dépêche qu’a reçue M. Thugut prouve bien que M. de Kaunitz désapprouve tout ce qui se passe et a eu la main forcée ; c’est sûrement du Lascy. Nous n’avons rien à faire dans ce moment-ci que de tout voir et nous tenir fort sur nos gardes sur ce qui nous viendra de Vienne. Honnêteté et retenue doit être notre marche ; mais M. de Saint-Priest peut toujours tâter le terrain à Constantinople sur la navigation de la Mer-Noire. Je me trompe fort si les trois cours ne prendront pas querelle à la fin, et gare l’incendie !… »


Trois ans après la date de cette lettre, on était en présence de la guerre de Bavière, et Louis XVI écrivait encore à son ministre des billets où la politique autrichienne était librement appréciée. Cette nouvelle pièce inédite que nous puisons à la même source nous fait voir aussi à quelle extrémité Marie-Thérèse s’était réduite.


« Versailles, le 22 juillet 1778. — Je vous renvoie, monsieur (c’est toujours à Vergennes que le roi s’adresse), les projets de lettres pour M. de Breteuil que vous m’avez envoyés. Je les ai trouvés bien, et vous pouvez les envoyer. La reine m’a montré la lettre de l’impératrice ; elle est assez courte et dit seulement qu’elle a envoyé des propositions plus détaillées au roi de Prusse ; mais du reste, par ce que la reine m’a dit, il paraît que M. de Mercy lui a montré cette démarche comme une dernière ressource à laquelle son désir de la paix la forçait, puisqu’elle était abandonnée de ses alliés et restait seule, qu’il était bien dur de faire une bassesse, après avoir eu de la gloire toute sa vie, — ceci pour vous seul… »


Ce désir de la paix attribué à Marie-Thérèse était réel et