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hommage au dévouement de Fersen en lui adressant à la hâte deux courts billets : « Rassurez-vous sur nous ; nous vivons… — J’existe et j’ai été bien inquiète de vous. Je vous plains de n’avoir aucune nouvelle de nous. Le ciel permettra que cette lettre vous parvienne. N’écrivez pas, ce serait nous compromettre, et surtout ne revenez pas ici sous aucun prétexte. On sait que c’est vous qui nous avez sortis d’ici, vous seriez perdu, si vous paraissiez… Adieu, je ne pourrai peut-être plus vous écrire. » Fersen méritait ce témoignage par sa généreuse conduite, par son respect ému, par son zèle, qui se préparait à de nouvelles épreuves. — A peine a-t-on lu ces tristes billets que voici trois cruelles lettres de Léopold, qui, trompé par de fausses nouvelles, croit le roi et la reine sauvés et réfugiés à Bruxelles, dans ses propres états. Il écrit à Louis XVI pour le féliciter d’un si heureux terme à de longues angoisses. Ses troupes, ses généraux, ses finances, il met tout cela aux ordres du roi de France pour qu’il rétablisse enfin sa légitime autorité. Il écrit surtout à la reine avec une joie véritable ; à elle seule revient tout le mérite. « Votre courage, fermeté et présence d’esprit vous a sauvée ainsi que le roi et votre famille, et sauvera également la monarchie, et on vous devra le repos de l’Europe entière. Tout ce qui est à moi est à vous : argent, troupes, enfin tout ! » Involontairement l’esprit s’arrête à ce que l’erreur qui abusa Léopold pendant quelques jours suggère de réflexions. Le roi et la reine à Bruxelles, la révolution prenait un autre cours, de sanglantes pages étaient du moins épargnées à notre histoire ! La déception se montre immédiatement par un écrit autographe de Louis XVI, appel direct du fond de sa nouvelle captivité à l’Europe en général, particulièrement à l’empereur son beau-frère, afin qu’il prenne toutes les mesures « pour venir au secours du roi et du royaume de France. » — Et la cruelle destinée, qui avait paru hésiter un instant, reprend son cours.

Cependant la reine avait accepté, disait-on, une entente avec les chefs du parti modéré, Barnave, Lameth et Duport. Adopter franchement la nouvelle constitution et détourner à tout prix les dispositions hostiles des puissances étrangères, qui ne faisaient qu’attiser les haines intérieures, voilà quel plan ces conseillers proposaient. Marie-Antoinette et Louis XVI parurent s’y prêter, et l’on a cru qu’ils furent en cela, du moins au commencement, suffisamment sincères. Voici en effet, dans le livre même de M. d’Arneth, des lettres de la reine qui représentent la situation comme non désespérée et même comme tout à fait tolérable : « Les derniers événemens m’ont donné de grandes lumières sur l’état des choses, écrit-elle à Mercy le 29 juillet, et sur le caractère des personnes.