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sur le rivage même deux petites tortues qui plus tard offriront leur carapace aux poètes qui voudront encore faire résonner la lyre. Ainsi qu’on le voit, la composition s’explique d’elle-même et sans grands efforts. La jeune fille est charmante, de profil, blonde, les yeux baissés, pâlie par l’émotion et contemplant avec une ineffable pitié cette fine et héroïque tête dont les lèvres ne s’ouvriront plus. Ses mains, ses pieds nus sont d’un dessin exquis, et je n’aurais que des éloges à donner à toute cette gracieuse figure, si la jambe qui marche n’était manifestement trop courte et ne donnait par conséquent au torse une longueur disproportionnée. C’est là un défaut auquel il sera facile de remédier, et je le signale à la scrupuleuse attention de M. Moreau. La jeune fille est vêtue d’une robe étroite, d’une gone, ainsi qu’on disait autrefois, qui dessine les bras, serre la taille, presse les hanches et vient en plis réguliers tomber au-dessous des chevilles ; cette robe est d’étoffe éclatante fleuronnée de rosaces bleues ; une large ceinture frangée la fixe contre le corps. On n’a point ménagé les critiques, et en effet une femme de l’antiquité sans tunique, sans peplum et sans manteau flottant sur les épaules, c’est une hérésie contre la religion de la draperie et une attaque directe aux commodes traditions de l’école. J’en suis fâché, mais, à son insu peut-être, M. Moreau s’est rapproché de la vérité historique. Les costumes de la Haute-Grèce, de la Thrace, de la Macédoine, des îles septentrionales de la mer Egée étaient fort riches, parsemés de fleurs brodées et d’étoffes généralement voyantes. Lorsque les Égyptiens, neuf siècles avant Jésus-Christ, eurent à peindre dans les grottes de Beni-Haçan les Grecs qui faisaient le commerce avec eux, ils représentèrent des hommes et des femmes « habillés d’étoffes très riches, peintes (surtout celles des femmes) comme le sont les tuniques des dames grecques sur les vases grecs du vieux style. » Je viens de citer Champollion le jeune, qui s’y connaissait. En Grèce, actuellement encore, partout où les modes françaises n’ont point pénétré, et surtout vers les hauts lieux où les invasions successives n’ont jamais réussi à s’établir, le costume antique a été fort peu modifié ; on le retrouve tout entier depuis la cnémis dont parle Homère jusqu’au gorgerin que portait Minerve. Aux environs du temple d’Apollon Épicurius, sur les confins de la Messénie et de l’Arcadie, au petit village de Dravoï, j’ai vu des femmes vêtues, à très peu de différence près, comme la jeune fille de M. Moreau. Une longue robe rouge brodée et passementée les enveloppait, et leur chevelure était rattachée par un mouchoir orné de fleurs en soie brillante. Poussé par son esprit investigateur, M. Moreau a rencontré beaucoup plus juste que s’il avait adopté pour son personnage la blouse blanche à bordure rouge ou bleue que les peintres s’imaginent trop facilement avoir été le costume