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lesquels nous avons déjà fait connaissance dans le musée des missionnaires de Londres ont rencontré pour la plupart une fin humiliante. Les uns ont reçu le coup de pied du sauvage, d’autres ont été jetés à l’eau une pierre au cou, d’autres ont été brûlés pour faire la cuisine. Après tout, n’avaient-ils point mérité leur sort ? Les tribus mêmes qui n’étaient pas cannibales avaient des idoles auxquelles on offrait des sacrifices humains. Les anciennes superstitions ont d’ailleurs opposé peu de résistance. Excepté dans certains cas, où les chefs avaient intérêt à perpétuer un culte qui leur conférait les honneurs divins, les temples grossiers, les statues de bois, les hideux symboles d’une théologie confuse s’écroulèrent comme tombent les forêts de la Polynésie par une nuit d’orage. Il faut pourtant dire que les sauvages se faisaient une singulière idée de la religion des Anglais. Un des naturels de Rarotonga, voyant un missionnaire se promener avec la Bible, s’écria : « Voilà le dieu de cet homme, et quel étrange dieu ! il le porte dans sa poche, tandis que nous avons les nôtres à la marae[1]. » Il serait d’ailleurs difficile de séparer les progrès du christianisme des avantages que donnent aux missionnaires les bienfaits de la civilisation. Les sauvages, ayant l’habitude de tout rapporter à un principe surnaturel, ne virent d’abord dans le dieu des Anglais qu’un dieu plus malin que les leurs, puisqu’il avait appris aux hommes blancs à se chausser, à se vêtir et à construire toute sorte d’ustensiles ingénieux.

A une époque où les études se reportent vers les origines du christianisme, il serait peut-être curieux de chercher une source d’analogie dans l’état présent des missions. Ces églises de la Polynésie ont, comme celles des anciens temps, leurs catéchumènes, leurs confesseurs, leurs martyrs. On y voit comment se sont formées les légendes. Les missionnaires sont chassés d’une île où ils venaient prêcher l’Évangile et dépouillés par les indigènes. Peu de temps après leur départ, une épidémie éclate qui atteint les vieillards et les enfans ; les sauvages, attribuant cette calamité à la vengeance du dieu des étrangers, ramassent tous les objets qu’ils leur ont pris et les jettent dans une caverne, puis ils font un vœu solennel. « Si le dieu des étrangers, s’écrient-ils, veut bien suspendre l’exécution de ses arrêts et ramener ses adorateurs vers nos rivages, nous les recevrons de notre mieux et nous partagerons avec eux notre nourriture ! » Que ces mêmes missionnaires reviennent, et le pays est désormais ouvert à leur influence. Une autre fois c’est le chef d’une tribu dont la fille unique est dangereusement malade : on donne l’alerte aux prêtres, qui ne cessent d’offrir des sacrifices et

  1. Temple des divinités polynésiennes.