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avec les nattes sur lesquelles couchent les naturels des îles, avaient été cousues de manière à résister au vent. C’est pourtant sur cette frêle embarcation que John Williams commença son voyage de découvertes. La cinquième partie du monde était en effet si mal connue que ce fut à l’aide de légendes et de vagues indications fournies par les indigènes qu’il trouva quelques-unes des îles perdues dans l’immensité des eaux. Les habitans de ces îles inspiraient aux voyageurs un effroi bien justifié par la mort du capitaine Cook et par d’autres aventures tragiques. Plusieurs d’entre les naturels étaient anthropophages ; d’autres faisaient usage de flèches empoisonnées et cachaient un principe vénéneux soit dans la nourriture qu’ils vendaient aux étrangers, soit même dans les eaux qu’on venait puiser sur leurs rivages[1]. John Williams brava tous ces dangers. Dans une première entrevue avec une tribu sauvage, les missionnaires doivent néanmoins se tenir sur leurs gardes. Aussi ont-ils le plus souvent à bord du vaisseau un ou deux chefs des îles voisines qu’ils ont rattachés à leur cause. Les naturels, voyant des hommes de leur nation et de leur couleur, désarment et entrent plus aisément en pourparlers. On échange alors les offrandes de paix, qui consistent de la part des sauvages en fruits de l’arbre à pain, une pièce d’étoffe ou tout autre présent auquel est attachée la feuille sacrée du cocotier, et de la part des étrangers en d’autres bagatelles qui sont autant de signes d’amitié. Ceci fait, les naturels lancent leurs canots, et le navire se trouve bientôt entouré d’une foule d’hommes tatoués dont les cris et les gestes n’ont rien de très rassurant. Le missionnaire explique le but de sa visite, et si ses propositions sont acceptées, il touche à terre avec un ou deux maîtres d’école indigènes qui l’accompagnent. John Williams s’introduisit ainsi dans plusieurs îles, et qui sait où se fussent arrêtées ses conquêtes, s’il n’eût été massacré en 1839 par les sauvages d’Eromanga ?

Un autre missionnaire d’un grand courage et d’une haute intelligence, M. W. Ellis, lui succéda quelque temps dans les mers du sud, où il fut d’ailleurs suivi par toute une armée d’évangélistes. Après de tels efforts multipliés, n’est-il point naturel de se demander quels changemens a produits l’influence de la Grande-Bretagne dans la condition des insulaires de l’Océanie ? D’abord le règne de l’idolâtrie a presque entièrement disparu. Ces pauvres dieux avec

  1. Quelques-unes de ces tribus étaient cannibales jusque dans leurs jeux. Un des enfans faisait semblant d’être mort, et les autres le portaient ça et là, entonnant le chant du festin. Plus tard même, les sauvages, voyant les missionnaires manger de la viande, s’imaginèrent qu’ils mangeaient un de leurs semblables. Toute chair était pour eux de la chair humaine.