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attirée par le fils du missionnaire, un beau garçon de quatre ans qui se trouvait à bord du navire. C’était le premier enfant blanc qu’ils eussent jamais vu ; aussi sa présence causa tant d’enthousiasme que ce fut à qui se frotterait le nez contre le nez du jeune Européen[1]. Les sauvages s’attendrirent en outre sur le sort d’un être si délicat exposé à toutes les colères du tempétueux océan, et ils demandèrent avec instance qu’on voulût bien le leur donner. — « Et qu’en feriez-vous ? « demanda le père alarmé, car il craignait que les habitans de l’île ne fussent cannibales. Le chef répondit au nom de tous qu’ils prendraient le plus grand soin de l’enfant et que leur intention était de le faire roi. Cette offre brillante ne tenta guère l’ambition des parens, et comme les cris, les gestes des sauvages prenaient un caractère menaçant, la mère emporta son fils dans ses bras au fond d’une cabine. Élevés parmi les sauvages, les enfans de missionnaires se distinguent eux-mêmes par une tournure d’esprit particulière et s’habituent à penser dans la langue du pays. L’un d’eux ayant perdu un jeune frère qui était mort d’une de ces maladies si fréquentes dans des climats malsains, disait à son père : « Ne le plante pas, je t’en prie : il est trop beau ! » Planter, dans les idées des indigènes, c’est mettre en terre.

Le missionnaire est-il bien fixé et bien établi dans une maison construite de ses propres mains, il a trop souvent encore à compter avec les ouragans. Des tempêtes couvées par cette immensité des mers du sud viennent tout à coup s’abattre sur les îles. La foudre éclate et met le feu aux forêts qui couvrent les hautes montagnes.

Tout tremble sous le passage du vent ; les géans de la végétation se dispersent comme des brins de paille. Un pareil désastre fondit en 1865 sur l’île d’Aitutaki ; sept mille cocotiers en plein rapport furent en une seule nuit couchés sur le sol ; la provision des fruits de l’arbre à pain, base de l’alimentation des familles indigènes, se trouva entièrement détruite, tandis qu’il ne restait plus debout une seule maison ni un seul édifice du culte. Une inondation de la mer, qui s’éleva vers minuit à une hauteur inaccoutumée, couvrit en outre tous les champs de culture. Plusieurs des habitans roulèrent des nattes autour des femmes et des enfans pour les empêcher d’être séparés les uns des autres et emportés par la violence des rafales. Le missionnaire, M. Roll, et sa famille cherchèrent un refuge derrière les débris d’un mur, seuls restes de la plus belle maison de l’île. Qui ne se figure l’état de consternation dans lequel une telle calamité plongea les pauvres insulaires ?

  1. C’est la manière de saluer qui répond dans la Polynésie à la poignée de main anglaise.