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Le soleil levant éclaira une scène de ruine et d’horreur. Tel est pourtant l’attachement de ces anciens sauvages pour les hommes qui leur ont apporté les élémens de la civilisation, qu’ils voulurent avant tout relever la maison du missionnaire anglais. En vain leur représenta-t-il qu’ils étaient les premières victimes et qu’ils devaient songer à leur propre malheur : ils s’obstinèrent et commencèrent à l’instant même les travaux. « Sans cela, assurèrent-ils naïvement, ils n’auraient jamais trouvé le courage de réparer le désastre pour eux-mêmes. »

Les missionnaires chrétiens ont plus d’un obstacle à combattre ; mais leur œuvre est surtout troublée dans les mers du sud par des hommes de leur propre couleur et à peu près de leur religion. Il y a deux ou trois ans, des bâtimens péruviens se montrèrent dans ces eaux et enlevèrent soit par ruse, soit par violence, une grande partie des habitans des îles. Ces négriers brûlaient les maisons, attaquaient les canots et faisaient main basse sur les hommes, les femmes, les enfans, qu’ils emmenaient avec eux en esclavage. Dans certains endroits, ils avaient recours à un singulier stratagème. Le bruit se répandait qu’à bord de leur vaisseau était un missionnaire, et les naïfs insulaires accouraient du rivage pour le voir. Un des marins, en habit noir, jouait assez bien le rôle du personnage sacré, puis, au moment où l’on s’y attendait le moins, la voile s’enflait, et le navire s’éloignait avec sa proie. Ces voleurs d’hommes inspirèrent aux habitans une telle horreur que pendant plusieurs mois l’apparition d’un vaisseau étranger fut un objet d’alarme sur toutes les côtes. Un des négriers fut enfin saisi par les naturels de Rapa, qui le remirent entre les mains des autorités françaises à Otahiti. On força, d’un autre côté, le gouvernement du Pérou à prendre des mesures contre de tels actes de brigandage, et en manière de réparation il renvoya trois cent soixante-huit indigènes appartenant à différens groupes d’îles. Le vaisseau était une prison flottante ; à peine avait-il quitté le port que la petite vérole et la dysenterie éclatèrent, et avant qu’on eût atteint Râpa, trois cent quarante-quatre cadavres avaient été jetés à la mer. Ceux qui survivaient furent débarqués de force sur le rivage malgré les justes réclamations des habitans, effrayés de les recevoir dans un pareil état. Ils semèrent en effet le germe d’une épidémie qui enleva un quart de la population. Pauvre île de Rapa ! on lui avait ravi ses enfans, on lui rendit la peste.

Quels avantages a tirés la Grande-Bretagne de ses missions dans les mers du sud ? D’abord elle s’est créé des alliés et des amis. Dans les commencemens, un des grands obstacles à la diffusion de l’Évangile était, de la part des indigènes, la crainte qu’on n’en voulût à leur territoire. On n’avait que trop accoutumé les races noires et