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Par l’exaltation de ses idées, cette femme missionnaire appartenait évidemment au genre excentrique. D’ordinaire les choses se passent d’une manière beaucoup plus simple. Un jeune homme a été élevé par une des sectes dissidentes ; il se peut même qu’il ait montré des dispositions pour le ministère de la parole. Dans l’ardeur de l’adolescence, le mirage des contrées lointaines et des moissons que peut y récolter la foi passe devant son cerveau comme un rêve de l’Apocalypse. Il expose ses sentimens devant un meeting religieux de son district qui l’envoie à Londres pour être examiné par un comité de missionnaires. Là il poursuit ses études durant une ou deux années dans une des institutions soutenues par la secte à laquelle il appartient. La moindre circonstance décide quelquefois de la partie du monde vers laquelle doit le conduire son étoile. Un des plus remarquables parmi les missionnaires wesleyens, M. William Moister, était ainsi attendant son sort, lorsqu’en 1830, par une froide matinée d’octobre, une jeune fille noire se présente à la porte de la vieille Mission-house dans Hatton-Garden. Elle portait dans les bras un enfant blanc à l’air maladif, le fils du révérend Richard Marshall, mort de la fièvre maligne cette même année, près de la rivière Gambia, dans l’ouest de l’Afrique. Deux jours après les funérailles, sa femme s’était embarquée pour l’Angleterre, ramenant avec elle son tout jeune fils et une Africaine nommée Sally, qui devait en prendre soin durant le passage. Arrivée à Bristol, mistress Marshall sentit ses forces épuisées et expira quarante-huit heures après avoir touché sa terre natale. C’était donc un orphelin que la fidèle négresse venait présenter à la maison des missionnaires. Son amour pour l’enfant semblait extrême ; tout en l’entourant de ses bras noirs et tout en l’arrosant de ses larmes, elle parlait avec enthousiasme de son pays. Cette scène touchante émut jusqu’aux larmes les jeunes candidats à l’œuvre des missions. Il fallait maintenant un successeur à M. Marshall dans la station de Gambia ; mais, par suite de la grande mortalité qui depuis plusieurs années avait frappé l’un après l’autre les évangélistes dans tout l’ouest de l’Afrique, le comité avait résolu de ne plus envoyer que ceux qui offriraient eux-mêmes leurs services. Un tel incident détermina la vocation de M. W. Moister. Cette contrée était la plus malsaine et la plus entourée de périls ; c’est là qu’il voulut aller.

Le lieu de destination étant fixé, le jeune missionnaire reçoit les ordres et se marie à une femme décidée, comme lui, à braver les dangers et les fatigues d’une vie errante. Il ne lui reste plus maintenant qu’à dire adieu à sa famille, à ses amis, et à se préparer pour le grand voyage. Accompagné de celle qui doit partager ses luttes,