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de prêcher, surtout si c’est un dimanche ! A l’aide du chariot et de la tente, on improvise une église en plein air, dans laquelle on range les hommes, les femmes, les enfans. Un jeune berger noir vient-il à passer dans ce moment-là avec son troupeau de chèvres, on l’invite à arrêter ses bêtes et à prendre sa part du service divin. Après bien des obstacles, le missionnaire atteint enfin le but de son voyage, le territoire de la tribu avec laquelle il veut nouer des rapports d’amitié. Des hommes armés sortent brusquement d’un buisson et le conduisent devant le roi. C’est là qu’il a besoin d’éloquence et de diplomatie pour plaider la cause de l’Évangile. Je dois dire qu’il est aidé par sa femme, généralement très sensible à l’honneur d’être reçue par un souverain, même par un souverain noir. Elle présente à cette majesté barbare quelques tasses de café préparé de ses propres mains. Comme les Anglaises sont toujours gantées, même dans le désert, un des grands sujets d’étonnement du royal sauvage est d’ordinaire la forme des doigts : il se demande comment il se fait que les femmes blanches n’aient point d’ongles. Le missionnaire propose alors de parler au peuple, et si sa demande est exaucée, on organise un meeting pour la circonstance. Le roi lui-même apparaît dans un char traîné par deux cents soldats, et après avoir été conduit sous un arbre il reçoit les hommages de ses sujets. Tout le monde s’assoit sur l’herbe, et c’est alors au missionnaire de haranguer l’auditoire. On l’écoute d’ordinaire avec attention ; seulement à chaque éternument du roi tous les noirs se tournent de son côté et lui adressent des éloges. Plus ou moins content de ces premières ouvertures, le missionnaire prend congé de la tribu et regagne ses foyers. Cette seconde partie du voyage est souvent la plus pénible : les bœufs sont fatigués et tombent quelquefois l’un après l’autre sur la route pour ne plus se relever. Si le missionnaire et sa femme n’ont pas encore reçu le baptême de la fièvre locale, combien sont-ils exposés l’un et l’autre à contracter cette maladie au milieu des terres basses et brûlantes ! En vue de tels accidens, on emporte avec soi des remèdes, et souvent le chariot, si gai au départ, n’est plus au retour qu’une infirmerie mouvante.

Et pourtant cette vie doit avoir des charmes, car les femmes des missionnaires anglais en parlent avec plaisir dans leurs lettres. « Ici, disent-elles, la nature tient lieu de tant de choses ! » Leur salle à manger est très souvent un bosquet d’orangers à l’ombre desquels s’élève une table de bois entourée de quelques sièges. La grande désolation de l’Afrique est le manque d’eau ; aussi la pluie est-elle saluée par les enfans du pays des épithètes les plus flatteuses : on l’appelle « la bonne, la belle, la gracieuse. » Une foule de négrillons sortent alors avec des vases de toute forme pour la recueillir.