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perdront. » Un tel avis me paraît s’adresser directement à la famille mongolique, et je ne m’étonne point qu’elle l’ait suivi d’instinct tout en ignorant peut-être la lettre du livre. C’est parce que les idées nouvelles dissolvent les anciennes formes sociales que la Chine, sans autre fanatisme que celui de sa propre conservation, sans foi dans ses dieux, résiste néanmoins de toutes ses forces à l’invasion des doctrines chrétiennes. Pour accepter l’Évangile, il lui faudrait changer ses mœurs, ses institutions, ses usages : long et pénible travail sous lequel s’est englouti l’empire romain. Aussi aime-t-elle mieux s’endormir dans son passé, dans la molle et apathique ivresse des fantaisies polythéistes, comme dans un rêve causé par les fumées de l’opium.

L’Inde est une autre nation de l’Asie que l’Angleterre a un intérêt tout particulier à convertir. La reine Victoria y compte plus de sujets mahométans que n’en a le Grand-Turc et plus de sujets idolâtres que n’importe quel souverain de la terre, si l’on en excepte l’empereur de la Chine. Nos voisins savent d’ailleurs très bien qu’on n’a vraiment conquis un peuple que quand on a vaincu ses dieux. Aussi le mouvement des missions protestantes dans l’Inde a-t-il commencé avec le XIXe siècle. L’apparition du christianisme a d’abord eu pour effet de ranimer le zèle des Hindous envers leur religion ; les plus riches et les plus instruits parmi eux s’associèrent pour publier les anciens livres sacrés qui n’avaient jamais été imprimés auparavant, et dont les manuscrits étaient aussi rares que coûteux. Ces annales poétiques, contenant les doctrines, les rites, et les cérémonies du culte, parurent en livraisons mensuelles et trouvèrent des souscripteurs dans toutes les villes. Comme on voulait défendre ces livres contre la curiosité des missionnaires, il était recommandé aux Hindous de ne point les communiquer aux hommes d’une autre religion. Dans la crainte que ces monumens des croyances nationales ne fussent point encore un rempart suffisant contre les idées étrangères, des journaux et des magazines, rédigés par les indigènes, se fondèrent à Bombay et à Poonah. Toutes les sectes hindoues prirent part au mouvement : les parsis ou adorateurs du feu, qui tiennent un rang élevé dans le pays par leur intelligence et leur esprit d’entreprise, défendirent le système de Zoroastre dans un recueil mensuel, et publièrent le Zend-Avesta avec un commentaire et des notes en anglais. La religion des Hindous en est arrivée maintenant à l’état où se trouvait le paganisme quand parut l’école d’Alexandrie : elle cherche à épurer ses dogmes, à remonter vers les sources et à retremper ses forces dans la discussion. Non contente de se défendre, elle attaque ses ennemis. Les polémistes indiens se servent des écrits de Voltaire et des autres