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philosophes du XVIIIe siècle comme d’autant d’armes pour repousser la doctrine de la révélation. Il ne se publie guère en France ou en Angleterre un livre d’exégèse historique et religieuse qui ne trouve des échos par-delà les mers, dans les profondeurs de l’Hindoustan. Le nom de l’évêque. Colenso est aussi bien connu dans les bazars de Bénarès que dans les écoles d’Oxford. Le missionnaire anglais croyait n’avoir à combattre que Bouddha, et voilà qu’on lui oppose chaque jour les Essays and Reviews, la Bible de Michelet et la Vie de Jésus de Renan.

Quant à l’idolâtrie vulgaire, elle perd visiblement du terrain. En vain les murs de certaines villes dont les noms rappellent une des divinités du panthéon hindou étalent-ils encore de maison en maison les légendes peintes sur bois de la mythologie brahmanique : toute cette pompe et cette fantasmagorie sacrée cachent assez mal le déclin des croyances. Les temples tombent en ruine, et nul ne se soucie de les relever. Un missionnaire revenait de prêcher dans un district idolâtre, lorsque, traversant un village, il rencontre un homme qui l’arrête en lui disant : « Avez-vous entendu dire ce qui est arrivé à Runga Saorma, le grand dieu de la localité ? — Et que lui est-il donc arrivé ? demande l’Anglais. — Des voleurs se sont introduits dans son temple, l’ont arraché de son piédestal et l’ont jeté au fond d’un puits. Autrefois un tel événement aurait causé une grande émotion. Nous aurions été obligés de ramasser entre nous une grosse somme d’argent pour le retirer de sa fosse, le consacrer de nouveau par la main des prêtres, et le replacer sur son autel. — Et n’allez-vous pas en faire autant ? — Non, nous sommes tous arrivés à cette conclusion, que, puisqu’il ne peut se sauver lui-même, il saurait encore moins sauver les autres. » Tel est l’état des esprits dans les campagnes ; mais c’est surtout dans les grands centres de population que l’ancien culte se montre frappé de caducité. Parmi les causes qui ont amené cette décadence, il faut placer l’éducation des écoles établies dans l’Inde par le gouvernement anglais. Dans ces écoles, on respecte hautement la liberté de conscience des indigènes, mais on leur enseigne les élémens des connaissances humaines. D’après le système des Hindous, tout se rattache à un principe divin : aussi les brahmes leur avaient-ils assuré qu’il n’existait point de fait en géographie, en astronomie ou en toute autre science, qui ne fût révélé dans les livres sacrés. Les religions, comme les gouvernemens, périssent par l’absolutisme. Lorsque les écoles anglaises s’ouvrirent et que les dogmes des Védas se trouvèrent en présence de la science occidentale, ils ne purent soutenir le parallèle, et perdirent aussitôt toute autorité sur l’esprit de la jeunesse. C’est l’étude des lois de la nature qui, sur le berceau