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II. — LES PRECURSEURS. — LE CONVICT DE NORFOLK-ISLAND.

Beaucoup de gens, bien intentionnés à coup sûr, mais se piquant de solidité, de bon sens pratique, regardent comme une utopie la pensée de donner au châtiment le caractère d’une réforme. On leur répond, avec beaucoup plus de raison, que ces deux objets, séparés à tort, se confondent en réalité. Une nature pervertie ne reprend qu’à grand’peine, et au prix d’une lutte souvent effroyable, le joug salutaire qu’elle avait brisé. Cherchez dans l’arsenal des tortures des entraves aussi étroites que celles d’une conscience renouvelée, cherchez-y de quoi produire une angoisse pareille à certains repentirs ! La réforme, si on l’obtenait complète, si on pouvait se flatter d’amener le criminel au juste sentiment de son infamie, de sa misère morale, de ses fautes et des remords qu’elles comportent, serait l’expiation la plus complète qu’il pût offrir à la société lésée. L’obtenir dans cette mesure, à ce degré de perfection, n’est certainement pas possible la plupart du temps ; mais il n’est pas nécessaire d’en arriver là pour qu’il se soit passé dans l’âme du condamné, littéralement bourrelée, une longue série de transformations douloureuses. Si la réforme s’est opérée, il a été puni, c’est chose certaine.

Mais s’opère-t-elle, et à quelles conditions ?

Sur le premier point, nul doute à concevoir, puisque même aujourd’hui, même dans l’état imparfait de ce qu’on appelle la pénalité de second ordre[1], un certain nombre d’individus, une fois libérés, ne reparaissent plus devant la justice. Il ne s’ensuit pas qu’ils soient absolument ramenés au bien, mais on peut, on doit croire qu’ils ont renoncé à faire du crime une habitude, une profession, un gagne-pain. Sur le second point, il y a au contraire beaucoup d’incertitudes. Nos aïeux, peu enclins à faire du sentiment, ne demandaient qu’à la terreur la réformation du coupable. On essaie, on expérimente de nos jours l’effet de la douceur et des bons traitemens. L’un des vices du système anglais est d’exagérer cette tendance nouvelle. Les pénitentiaires sont presque des palais, la réglementation n’a rien de pénible, les soins hygiéniques sont prodigués, le régime alimentaire, sans cesse amélioré, devient peu à peu surabondant. Nous parlons ici, qu’on le remarque, des pénitentiaires destinés à la servitude pénale, non des prisons ordinaires, des geôles de comté, des maisons de travail, des écoles réformatrices (reformatories). Dans ces établissemens divers, on n’est ni si

  1. Celle qui n’est pas définitive, irrévocable. La peine de mort, les condamnations à perpétuité, constituent la pénalité primaire.