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réussit, se transporte, on ne sait comment, à quelques centaines de milles, et se joint à une troupe d’indigènes, habitués à vivre de rapines. Ses nouveaux compagnons l’entraînent à une expédition où quelques colons, assiégés et se défendant, vinrent à être tués. La police locale se met aux trousses de ces bandits : Anderson est abandonné par eux, repris et reconduit à Macquarie, où pour sa bienvenue il reçoit double fustigation. La vie désormais lui était à charge ; aussi forma-t-il sans la moindre hésitation, avec un de ses camarades, le projet de tuer ce surveillant odieux, cet Antoine qui semblait le tyranniser avec une sorte de complaisance farouche ; il voulut même se charger, à lui seul, de l’exécution concertée entre eux. Le lendemain, Antoine, la tête fendue d’un coup de bêche, tombait mort aux pieds de son prisonnier. Les soldats de garde, accourus trop tard, percèrent le coupable de cinq coups de baïonnettes. Il survécut cependant, fut conduit devant les juges au sortir de l’hôpital, et s’entendit condamner à mort avec une évidente satisfaction. Ce que voyant, on ajourna l’exécution de la sentence, et on le dirigea sur l’île Norfolk.

Ce fut là que le capitaine Machonochie le trouva, on peut aisément se figurer dans quelle situation physique et morale. Les rapports le signalaient comme habituellement insubordonné, toujours insolent, se dérobant au travail par tous les subterfuges dont il se pouvait aviser ; il avait encouru déjà dix punitions pour voies de fait (assaults) soit envers ses camarades, soit envers les gardiens. A vingt-quatre ans, il avait l’air d’en avoir quarante. Ses absences d’esprit, ses emportemens bizarres avaient fait de lui un objet de risée. On s’amusait à l’exciter, à le mettre hors de lui. Le nouveau directeur commença par interdire absolument ces jeux cruels. Il se mit ensuite à chercher, à étudier les moyens de salut qui pouvaient avoir prise sur cette âme en perdition. Ceux qu’il inventa sont caractéristiques.

L’établissement possédait un certain nombre de jeunes taureaux, plus malaisés à dresser que les autres et qu’on gardait, inutiles, dans un enclos séparé. Là pouvait se trouver l’emploi de cette surabondante énergie qu’Anderson dépensait en luttes, en résistances continuelles. Le pauvre diable y serait d’ailleurs isolé de ses camarades et préservé des railleries continuelles qui l’exaspéraient. On le confina donc avec les animaux rebelles, et il fut interdit de le troubler en quoi que ce fût dans l’exercice de sa mission. Les pronostics sinistres n’avaient pas manqué sur l’issue probable de la tentative risquée en faveur de l’irascible Bony[1] (c’était le

  1. Bony, abréviation de Bonaparte ; ce nom se retrouve, de 1800 à 1815, dans toutes les caricatures lancées contre l’auteur du système continental,