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dissiper par degrés le préjugé fatal qui repousse les libérés de tout atelier, de toute industrie respectable.

Sur ces données, voyons comment on procède, et, pour éviter l’aridité inhérente à tout exposé didactique, prenons le condamné que M. Crofton lui-même a mis en scène.

J. B. a vingt-huit ans ; vous lui en donneriez trente-cinq. Condamné cette fois pour vol avec effraction (burglary) et chargé de quatre récidives antérieures, il a déjà subi l’emprisonnement cellulaire, déjà expérimenté les fatigues du tread-wheel, et encouru pour rébellion l’ignominieux châtiment du fouet. Ses parens sont morts à la maison de travail où il est né, d’où il s’est enfui. Jamais il n’a eu de foyer. Dans presque toutes les grandes villes, il a été signalé comme appartenant à quelque bande de malfaiteurs. Sa physionomie est repoussante et sinistre ; pas un trait de son visage ne vous laisse la moindre espérance. Tel est l’homme qu’il s’agit de châtier, de réformer, de replacer sans péril dans l’exercice de son libre arbitre. On a quatre ans pour cela.

Il arrive à Mountjoy, la prison du premier degré. Là l’isolement est complet, le travail peu attrayant[1], le régime aussi réduit que possible. La viande en est exclue ; le pain même, la farine d’avoine, le riz, y sont donnés en aussi petite quantité que le permettent les lois de l’hygiène, surtout pendant la première moitié de ce premier stage, dont la durée normale est de neuf mois, mais peut être réduite à huit par une bonne conduite à peu près irréprochable. On profite de la solitude et de l’oisiveté relatives du convict pour commencer à porter quelques lueurs dans sa conscience, à réveiller par quelques enseignemens élémentaires son intelligence engourdie. Il apprend du même coup en quoi consiste le régime des prisons irlandaises, ce qu’on attend de lui, ce qu’on lui offre en échange, la valeur des marks ou bonnes notes, les conditions à remplir pour arriver d’abord aux prisons de travail en commun, puis à cet état de demi-liberté que comporte la captivité finale, celle des « prisons intermédiaires » (intermediate prisons). Il apprend enfin qu’avec une bonne volonté notoire, un contrôle assidu de ses mauvais penchans, il peut abréger d’un tiers, d’un quart, d’un cinquième (selon que sa condamnation est à terme plus ou moins long) cette captivité qui lui pèse.

Dans les dispositions où on l’a pris, notre convict est loin de

  1. Voici ce qu’il faut entendre par ce mot. On avait remarqué que les leçons données au condamné pour lui apprendre un métier quelconque étaient pour lui une distraction à l’ennui de l’emprisonnement cellulaire. Cette distraction lui est refusée dans la période purement pénale, par laquelle il débute. On le contraint à un travail qui n’exige aucun apprentissage, en général la fabrication d’une étoupe grossière.