Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/957

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
953
LES SEPT CROIX-DE-VIE.

l’angle de la terrasse, et de là, dominant la grande futaie du parc, elle laissa son regard se noyer dans le feuillage immense. Un coup de vent écarta les branches et lui montra le fond du bois. C’était le même spectacle qui l’avait attirée déjà lors de sa première visite à Croix-de-Vie, et qu’elle considérait en silence, quand le marquis, s’approchant d’elle et lui parlant pour la première fois, lui avait demandé si ce sombre paysage ne lui plaisait point. Non, cette morose nature ne lui plaisait pas alors, mais depuis n’avait-elle pas commis la folie de croire qu’elle pourrait s’y accoutumer et l’aimer un jour ?… Tout à coup elle recula. La ramure, avant de se refermer, lui avait fait voir un homme debout à quelque distance, au pied d’un chêne. C’était l’un des cavaliers qui assistaient la veille à la chasse, c’était le maître des Aubrays : elle connaissait sa figure et son nom ; mais au même instant une autre figure surgit du milieu des houx, au pied même du mur, et une voix forte et vibrante jeta ces mots dans la forêt : « Madame la marquise de Croix-de-Vie, je vous salue. »

Lesneven ! c’était lui. Il n’avait pas quitté la contrée, il avait trouvé, pour s’y cacher, uu asile plus sûr que le hameau de Sainte-Marie, la maison sans doute de ce gentillâtre qui pouvait bien être un ennemi secret des Croix-de-Vie ; il avait trompé la clairvoyance de Chesnel. Violante reculait toujours, mais bien plus lentement ; elle ne pouvait être vue de Lesneven que si elle s’appuyait au bord de la terrasse. Elle réfléchissait à cette poursuite opiniâtre, insensée, qui ne cesserait point. Elle pensait que l’audace de ce singulier jeune homme avait bien grandi, puisqu’il ne craignait pas de s’aventurer jusqu’au pied même de ces murs ; mais elle ne redoutait rien de plus et ne se disait pas comme naguère, lorsqu’elle n’avait contre lui d’autre défense que les charmilles de Bochardière : Il n’osera pas franchir cette haie ! On ne franchissait pas les remparts de Croix-de-Vie, elle le savait bien…

Une autre pensée l’occupait, et aussi une autre crainte : elle avait vu Lesneven, elle allait donc voir Martel. Jamais elle n’avait rencontré ce jeune homme sans que le marquis ne fût proche ; le hasard le voulait ainsi, ou bien la fatalité peut-être… Lesneven et Croix-de-Vie suivaient le même chemin comme dans la légende. Martel allait venir, Violante en était sûre, si sûre qu’elle baissa son voile. À ce moment même, elle entendit des pas derrière elle sur la terrasse. Ces pas se rapprochèrent ; elle ne se retourna point ; mais, comme son voile flottait au vent, elle sentit une main qui en saisissait doucement les plis : c’était la main de Martel portant ces plis légers à ses lèvres.

— Violante, lui dit-il, je vous surprends à examiner ces tristes