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du XVIIIe siècle, de grandes industries. Il suffira, pour indiquer l’importance qu’avait à ce moment la soude dans l’ensemble de la fabrication nationale, de dire quelques mots des savonneries et des verreries.

Colbert avait importé de Savone à Marseille la fabrication du savon, et la Provence avait vu se fonder bientôt de vastes usines très florissantes. Le savon blanc et marbré qu’elles livraient au commerce n’a pas perdu sa supériorité et occupe encore aujourd’hui le premier rang parmi tous les produits similaires des autres nations. On obtenait ce produit en combinant la soude avec les acides gras de l’huile d’olive, l’acide oléique et l’acide margarique. Nombre d’industries voyaient leur prospérité attachée à la prospérité des savonneries provençales. Tout le monde connaît en effet les multiples applications du savon : outre les usages domestiques, on sait qu’il est indispensable au blanchiment, à l’apprêt des étoffes, à la teinture, aux impressions sur tissus ; presque toutes les branches d’industrie qui se rattachent aux matières tissées sont tributaires des savonneries. Les verreries, de leur côté, consommaient d’immenses quantités de soude. Le verre n’est qu’un composé de silice ou pierre à fusil (acide silicique) et de diverses bases alcalines et terreuses, la potasse, la soude, la chaux, la baryte ; certains oxydes minéraux lui donnent les colorations les plus variées, quelquefois les plus fâcheuses : que la pâte contienne seulement des traces de fer, et au lieu de verre blanc on n’a que du verre commun à vitres, ou, si l’oxyde ferrugineux est en proportions plus fortes, du verre à bouteilles d’un vert foncé. Au contraire joignez à une pâte bien blanche à base de potasse une certaine quantité d’oxyde de plomb, vous avez le cristal. Augmentez la dose convenablement, vous obtenez le strass, dont le pouvoir dispersif est si remarquable qu’il approche presque de celui du diamant. Entre ces deux produits extrêmes, l’humble bouteille brune et le brillant cristal à facettes, que de produits intermédiaires et que de services rendus ! Les vitres, qui ont tant fait pour la commodité et la salubrité des habitations, les grandes glaces, dont l’apparition bouleversa l’art de décorer les appartemens, la gobeleterie commune et riche, les cristaux des lustres, tels étaient les objets de cette magnifique industrie, qui satisfaisait à la fois aux nécessités les plus usuelles et répondait aux besoins du luxe le plus recherché. On ne s’étonnera plus après cela de l’importance qu’elle avait conquise, et on se fera une idée du nombre immense d’intérêts, d’industries et de commerces secondaires qui gravitaient autour d’elle.

Or la France, qui consommait de si grandes quantités de potasse et de soude, en produisait des quantités insignifiantes, et tirait