Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/97

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’une réelle importance. On peut s’assurer, en étudiant de près le texte des synoptiques, d’un fait bien digne d’attention, c’est que Jésus ne se posa pas dès l’abord en Messie, c’est-à-dire comme le Christ attendu par la foi populaire. Tout le monde se rappelle le bel incident de la confession de foi de Pierre, qui, le premier de tous, « n’écoutant ni la chair ni le sang, » décerna au maître bien-aimé ce titre le plus glorieux qu’un Juif religieux pût concevoir. Ce fait se passa plutôt vers la fin que vers le commencement de la carrière publique de Jésus, et lorsque sa renommée, déjà répandue, avait provoqué plus d’une opinion singulière parmi ses admirateurs[1]. Il est vrai que les synoptiques eux-mêmes renferment plusieurs passages antérieurs à cette scène, et où le Fils de l’homme parle déjà en Messie ; mais en présence du fait positif, indéniable, que Pierre fut le premier à proclamer, ce dont personne ne se doutait encore, quand on pense que, même alors, Jésus lui défendit, à lui et à ses condisciples, de proclamer ouvertement leur foi devant la foule, on doit simplement en conclure que les synoptiques ont pu antidater quelques paroles du maître. En tout cas, l’ordre des événemens sur ce point de la plus haute importance reste visible chez eux et ne demande qu’un peu d’attention pour être discerné. Dans le quatrième Évangile au contraire, cet ordre a complètement disparu. Dès le début de son apparition sur la scène historique, Jésus, dans ce livre, se dit et est appelé le Messie.

La seconde observation qu’il faut signaler porte sur le plan tout entier de l’histoire évangélique. D’après les synoptiques, le ministère de Jésus aurait eu pour théâtre presque exclusif la Galilée, c’est-à-dire cette partie septentrionale de la Palestine où les populations plus mélangées, moins fermées au reste du monde, au sein d’un pays ravissant, faisaient preuve d’un esprit moins revêche à la largeur de la nouvelle doctrine que les Juifs orthodoxes de Jérusalem, servilement soumis aux influences concentrées d’un rabbinisme et d’un sacerdoce aussi arides l’un et l’autre que le territoire sablonneux de la Judée proprement dite. C’est seulement vers la fin de sa sublime carrière que, selon les synoptiques, Jésus aurait tenté de faire, comme messie pacifique et spirituel, un appel solennel au peuple juif réuni autour de son sanctuaire pour sa grande fête pascale, et cette tentative aurait abouti brusquement à son arrestation et à son supplice. Jésus n’aurait donc été qu’une seule fois à Jérusalem durant le cours de sa vie publique. On a pu sans doute relever dans les trois premiers Évangiles quelques

  1. Tous le tenaient pour un prophète, mais beaucoup s’imaginaient reconnaître en lui l’un des anciens prophètes, Élie ou Jérémie ou même Jean-Baptiste, dont la décapitation était récente encore.