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disent rien, qu’on l’a vainement cherché sur les tombes des martyrs reconnus et incontestés, comme saint Corneille et saint Hyacinthe, où il devrait être, et qu’en revanche plusieurs de celles où il se trouve ne peuvent pas avoir contenu des martyrs ; que dans les inscriptions de ces tombes, composées par les parens et les amis du mort, on lui souhaite la vie éternelle, comme s’il n’était pas sûr qu’il l’a obtenue par son sacrifice ; qu’on ne retrouve jamais dans ces épitaphes les caractères ordinaires à ces époques de persécution où la contrainte redoublait la foi ; que ce ne sont que des formules banales comme celles-ci : « c’était une merveille de jeunesse, un miracle de beauté et de bonne grâce, — elle m’a donné trois enfans, — elle était affable avec tous, etc. ; » qu’il arrive même qu’elles contiennent des sentimens et des souvenirs païens qui, placés sur la tombe d’un confesseur de la foi, auraient indigné un chrétien sincère. Après avoir montré ce que le vase de sang n’est pas, M. Le Blant cherche ce qu’il peut être ; c’est la partie la plus originale de son mémoire. Tous les récits des persécutions nous montrent les chrétiens se pressant autour de leurs frères immolés, baisant les instrumens de supplice, rassemblant les restes mutilés des victimes, et recueillant dans des linges leur sang répandu sur le sol. Que voulaient-ils donc faire de ce sang ? « Ils le conservaient chez eux, dit Prudence, pour être la sauvegarde de leur famille. » M. Le Blant suppose avec vraisemblance qu’ils se mettaient souvent sous cette protection après leur mort comme pendant leur vie. Le même sentiment qui les faisait, aux catacombes, entasser leurs sépultures auprès de celles des évêques et des confesseurs les poussait à y déposer aussi quelques reliques, surtout ce sang précieux recueilli pendant les persécutions, et dont la puissance est telle, dit une de leurs épitaphes, qu’elle lave les fautes de tous ceux qui reposent près de lui. S’il en est ainsi, le vase de sang indique non pas la tombe d’un martyr, mais celle d’un chrétien pieux qu’effraie l’attente du jugement dernier. On comprend à la rigueur que l’église honore le vase lui-même : il peut avoir contenu des reliques ; elle ne doit certainement pas vénérer le corps de ce pauvre pécheur qui, par le soin qu’il prend de se placer sous la protection des martyrs, semble ouvertement confesser ses fautes, et dont on veut faire un saint malgré lui.

Quoique ce mémoire ne se rapporte pas directement aux inscriptions de la Gaule, je tenais à en dire d’abord quelques mots pour montrer combien la science de M. Le Blant est indépendante. Il suffira de lire les premières pages de son introduction pour reconnaître combien elle est régulière dans sa marche, sûre et méthodique dans ses procédés. L’épigraphie persiste dans la voie où