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leurs longs voiles sous lesquels il semble qu’on devine le corps des statues de la Grèce. Les œuvres de ce temps n’ont pas un si beau caractère. La barbarie dans l’art a précédé les barbares. Dès le règne de Constantin, le ciseau des sculpteurs chrétiens devient trop lourd pour reproduire ces nobles figures. Ils se contentent de représenter grossièrement des colombes ou le monogramme du Christ ; ils finissent par ne plus savoir sculpter que la croix. De tous les symboles chrétiens, la croix est le plus facile pour une main maladroite. Ce qui fit sa popularité au IVe siècle, c’est moins le grand souvenir qu’elle rappelait que l’ignorance des artistes et l’impossibilité où ils se trouvaient de faire autre chose.

Les inscriptions chrétiennes antérieures à Constantin, comme celles dont je viens de parler, sont assurément les plus curieuses. Il est fâcheux qu’en Gaule elles soient si rares. Les autres, quoique moins importantes, sont bien loin d’être sans intérêt. M. Le Blant a montré les services qu’elles pouvaient rendre. En examinant de près les formules les plus ordinaires, il en tire, avec une sagacité rare, des renseignemens très utiles pour l’histoire. Quand on passe brusquement de l’étude des anciennes inscriptions de Rome à celle des inscriptions chrétiennes, on s’aperçoit bien qu’on est dans un monde nouveau. Par exemple, ces qualifications d’esclaves et d’affranchis si fréquentes sur les sépultures païennes ont ici presque entièrement disparu. Ce n’est pas que le christianisme eût détruit d’un coup l’esclavage. C’était une révolution trop radicale qui aurait changé l’état social tout entier ; il n’osa pas l’entreprendre. Ne pouvant le détruire, il travailla au moins à l’affaiblir. Dans la communauté des fidèles, l’esclave se regardait comme affranchi par le Seigneur, l’homme libre était heureux de se dire l’esclave du Christ, et par cet échange qu’ils faisaient volontairement de leur situation mutuelle l’égalité semblait se rétablir entre eux. Il ne faut point chercher non plus sur les tombeaux chrétiens ces longues listes de fonctions politiques ou municipales que jusque-là les personnages importans se plaisaient à étaler : les honneurs de la terre ne méritent pas qu’on en garde ainsi le souvenir. On n’y retrouve que très rarement indiquée la filiation du défunt ; il n’énumère pas avec complaisance, comme c’était l’usage auparavant, le nom de son père et de ses aïeux. Le Christ n’a-t-il pas dit : « N’appelez personne ici-bas votre père, parce que vous n’avez qu’un père qui est dans les deux ? » C’est pour cela que les martyrs refusaient obstinément de répondre à ceux qui les interrogeaient sur leur famille. « Le bourreau lui demandant : De quels parens êtes-vous né ? il se contenta de dire : Je suis chrétien. » Ce mot suffisait à tout, il était à lui seul une lignée, et on n’avait pas besoin d’en inscrire