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d’autre sur la tombe d’un fidèle. Même silence sur le métier qu’il pratiquait, non pas qu’il en rougît, mais parce que « le chrétien ne devait avoir d’autre profession que de s’occuper des choses d’en haut. » A plus forte raison devait-on s’interdire de parler de la fortune et des biens terrestres. La mention des héritiers, si ordinaire chez les païens, est inconnue dans l’épigraphie chrétienne. Tous les intérêts de ce monde doivent se taire devant la mort. Le souvenir même de la patrie disparaît ; on ne prend presque plus la peine d’indiquer comme autrefois le nom de la province ou du municipe d’où le défunt était sorti. « Un chrétien, disent les Actes des martyrs, n’a point de ville sur la terre ; sa patrie, c’est la Jérusalem des cieux. » — « Il n’y a plus, disait l’apôtre, de gentil ni de Juif, de circoncis ni d’incirconcis, de barbare et de Scythe, d’esclave ni d’homme libre ; il n’y a que le Christ, qui est tout pour tous. » Nous admirons beaucoup aujourd’hui ces belles paroles, mais un Romain ne les comprenait pas ; elles ne pouvaient que le surprendre et l’indigner. Il est probable qu’elles irritaient surtout les gens du peuple, ceux qui, dans le choix de leurs opinions, se décidaient plutôt par le cœur que par l’esprit. C’est un fait incontestable que le christianisme a soulevé chez le peuple des colères furieuses. « Combien de fois, dit Tertullien, ne nous a-t-il pas accablés de pierres et n’a-t-il pas mis le feu à nos maisons ? Dans la fureur des bacchanales, il n’épargne pas même les morts. Oui, l’asile de la mort est violé. Du fond des tombeaux où ils reposent, on arrache les cadavres des chrétiens, quoique méconnaissables et déjà corrompus, pour les insulter et les mettre en pièces ! » On s’est souvent demandé comment le peuple avait si mal accueilli une doctrine qui semblait devoir être si populaire. C’est que la nouvelle religion ne se séparait pas seulement des opinions reçues, elle brisait les affections anciennes. Que de déchiremens n’a pas causés son triomphe ! Nous n’en voyons aujourd’hui que les heureux résultats, qui auraient dû, à ce qu’il semble, lui gagner tous les cœurs, il ne faut pas oublier tout ce qui devait les éloigner d’elle. Pour nous rendre compte de la résistance, et surtout de la résistance populaire, qu’elle a rencontrée, rappelons-nous ces attachemens profonds qu’elle venait détruire sans pitié. Dans ces grandes révolutions qui renouvellent les sociétés, il est naturel qu’on soit d’abord plus sensible aux biens qu’on perd qu’à ceux qu’on gagne. On sait avec quelle passion les peuples antiques aimaient la famille et la patrie, comment ils concentraient tous leurs plaisirs, tous leurs devoirs, leur existence entière autour de la cité et de la maison. Qu’on se figure leur surprise quand on vint leur dire qu’il fallait se détacher de ces affections ; qu’on juge de leur fureur quand ils