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ment les Kameni, mais encore l’île de Santorin elle-même. Un certain nombre d’habitans émigrèrent immédiatement, d’autres envoyèrent à Syra ce qu’ils avaient de plus précieux. Quelques-uns au contraire, plus intrépides, voulurent voir par eux-mêmes les phénomènes dont on leur parlait, et se rendirent à Nea Kameni. M. le docteur Decigalla, à qui nous devons des renseignemens précieux sur la marche de l’éruption et principalement sur les faits qui en ont accompagné le début, fut l’un des premiers à se faire conduire sur les lieux. Il put constater l’élévation de température des eaux de la mer, la coloration rougeâtre extrêmement prononcée qu’elles affectaient, et les dégagemens gazeux qui s’y produisaient. Il observa aussi un fait bien remarquable : c’est la formation de quatre petits lacs d’eau douce au pied de l’ancien cône de Nea Kameni, en arrière des habitations, en un point où le sol paraissait uniquement formé de roches volcaniques entassées, et où il n’y avait jamais eu trace de source. Enfin, dans le courant de la soirée, il vit reparaître les flammes qui avaient été aperçues la nuit précédente, et que la clarté du jour l’avait jusqu’alors empêché de distinguer. Ces phénomènes continuèrent pendant la journée du lendemain (2 février) en redoublant d’intensité. L’enfoncement du sol sur la rive orientale de l’anse de Voulcano était, en certains endroits, de plusieurs mètres, et l’eau de la mer pénétrait dans quelques habitations.

Cependant tous ces faits ne constituaient pour ainsi dire que les préliminaires d’une éruption. C’est le 3 février seulement que l’on vit poindre à la surface de la mer, dans l’anse de Voulcano, un récif formé par des masses de lave incandescentes sortant des entrailles de la terre et poussant devant elles les débris du sol. Pendant plusieurs jours, l’accroissement de ce récif s’est fait avec la plus grande régularité, mais en même temps avec une rapidité telle qu’on le voyait grandir de minute en minute. Il est évident que le sol était fendu au fond de la mer, et qu’il sortait continuellement de la fissure un flot de lave liquide, qui, au contact de l’eau, se solidifiait en blocs irréguliers. Le premier jour de l’apparition de cet îlot, comme la masse en était encore peu considérable, les blocs qui le composaient se refroidissaient rapidement en faisant entendre des sifflemens aigus ; mais la poussée souterraine continuant à s’exercer et amenant sans cesse de nouvelle lave liquide au centre de l’amas déjà formé, les blocs qui avaient paru d’abord se trouvaient incessamment rejetés vers la périphérie et remplacés par d’autres dont la température était de plus en plus élevée. Le 5 février, l’îlot avait atteint déjà une longueur de 70 mètres sur une largeur de 30 et une hauteur de 10 environ. Les masses de lave qui le composaient, se trouvant, par suite de l’accumulation même des matières, mieux protégées contre le refroidissement, restaient longtemps incandescentes, et brillaient d’un vif éclat dans l’obscurité de la nuit. Des flammes jaunâtres s’échappaient de tous les interstices, principalement au sommet du monticule, et lui donnaient l’apparence d’un bûcher.

L’éruption se développait ainsi sans produire aucun désastre notable et