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met distinct, d’où sortaient toujours d’épaisses fumées roussâtres, mais les détonations y étaient devenues très rares; c’est tout au plus s’il s’en produisait une ou deux chaque jour, et encore n’offraient-elles qu’une médiocre intensité. La température même semblait y avoir beaucoup baissé, et les flammes ne s’y montraient plus. En revanche, la quantité de lave qui en était sortie depuis six semaines était extrêmement considérable. Bien que les coulées de lave nouvelle fussent à peine longues d’un kilomètre, comme elles étaient épaisses de plus de 100 mètres, le volume qu’elles présentaient finissait par être comparable à celui des coulées ordinaires du Vésuve et de l’Etna, qui offrent souvent une longueur de plusieurs kilomètres avec une faible épaisseur. Cette différence entre les dimensions relatives des courans de lave suivant qu’une éruption a lieu au contact de l’air, sur la terre ferme, ou qu’elle se produit au sein de la mer, s’explique simplement. Dans le premier cas en effet, la matière en fusion conserve ordinairement très longtemps et quelquefois même pendant des années entières une haute température; elle peut par conséquent demeurer fluide pendant un laps de temps assez prolongé pour s’étaler au loin sous la forme d’une nappe mince, mais très étendue. Dans le second cas au contraire, se trouvant déversée au milieu de l’eau et rapidement refroidie, elle cesse bientôt de progresser, et forme d’épais amas près de l’orifice de sortie. Les coulées gagnent donc en épaisseur ce qu’elles perdent en longueur.

L’agrandissement des deux promontoires, formés l’un par l’île George, l’autre par Aphroessa et Reka réunies, avait complètement modifié la forme de la partie sud de Nea Kameni ; mais c’est surtout entre ces deux points, sur l’ancien sol de l’île, qu’étaient survenues les modifications les plus grandes. Au lieu des quatre crevasses profondes qu’on y observait à la fin du mois de mars, on y trouvait en mai un grand nombre de fentes plus larges et plus profondes encore que les premières. Au fond circulaient des courans d’eau salée dont la température variait entre 70 et 75 degrés, et qui étaient encore le siège de dégagemens gazeux ; mais tandis qu’autrefois les gaz, beaucoup plus abondans, étaient combustibles, ils ne brûlaient plus maintenant, même quand on les dépouillait de l’acide carbonique qu’ils contenaient en très grande quantité. Ces déchirures de l’ancien sol de Nea Kameni étaient tellement nombreuses et si souvent taillées à pic qu’il était très difficile de parcourir l’étendue de terrain comprise entre l’île George et Aphroessa, bien qu’elle n’eût plus guère que 120 mètres de largeur.

Les fumerolles sulfureuses qui se trouvaient alignées près des fentes étaient aussi devenues de plus en plus actives. La température s’y était élevée jusqu’à l’incandescence; les bruits souterrains s’y faisaient entendre avec une formidable intensité. Enfin, dans la journée du 27 avril, il s’était produit une violente explosion dans la partie la plus chaude. Le sol y avait été brusquement projeté de tous côtés avec un fracas comparable à celui