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ESSAIS ET NOTICES.

LETTRE AU DIRECTEUR DE LA REVUE.

Monsieur,

La Revue n’avait certes pas mesuré étroitement l’espace à M. Feuillet de Couches en vue de sa réponse à mes objections contre l’authenticité des lettres de Marie-Antoinette et de Louis XVI. Nulle parole ayant trait aux doutes ici exprimés ne lui avait été refusée; il s’était donné librement toute carrière, et, si quelqu’un s’en est plaint, ce n’est pas moi. Les cinquante-sept pages de la Revue ne lui ont cependant pas suffi; il lui a plu de les réimprimer avec de nombreux remaniemens et d’importantes additions. pour nous fort imprévues. Ce factum remanié sert d’introduction à son quatrième volume, publié récemment, et il en a fait de plus un tirage à part, qu’il distribue, probablement sans la réplique. Ses nouveaux argumens et son procédé me forcent, bien malgré moi, à reprendre la plume.

En tête de cette introduction, je lis tout d’abord une épigraphe à laquelle l’auteur paraît se complaire, car ce n’est pas la première fois qu’il en fait usage. « Sur ma vie, dit un des personnages de Shakspeare, ceci est bien l’écriture de mylady; voilà bien ses C, ses U, ses T. C’est assurément, sans conteste possible, sa propre main. » — Bien trouvé ! se sera dit M. Feuillet, bonne devise à inscrire sur mon drapeau! — Grotesque méprise, lui répondra-t-on, et de fort mauvais augure. Malvolio, qui parle de la sorte dans cette amusante comédie de Shakspeare, la Douzième Nuit, est une manière de chambellan qui veut plaire à Olivia, sa souveraine, et se croit en faveur; mais la lettre sur laquelle il s’exclame est, ne le voyez-vous pas? une lettre fabriquée. Allez au dénoûment; lisez la dernière scène : « Alas! Malvolio, Ihis is not my writing, dit Olivia; hélas! Malvolio, ce n’est pas là mon écriture, quoique, je l’avoue, on l’ait assez bien imitée. Ah! pauvre homme, comme on s’est moqué de vous! Alas ! poor fool, how hâve they baffled thee ! » N’est-ce pas ainsi que parlerait Marie-Antoinette elle-même, dites-moi, si on lui montrait écrite de son écriture cette lettre à Mercy qu’elle avait confiée, comme trop dangereuse, à une autre main et qu’un de nos collectionneurs croit avoir autographe[1]? N’est-ce pas

  1. M. Feuillet lui-même vient de publier dans son 4e volume la lettre de Fersen à Gustave III du 1er janvier 1792, avec laquelle, comme je l’ai montré, on a évidemment fabriqué une et même deux lettres de la reine; chacun peut s’en convaincre maintenant par une comparaison soit de cette pièce, soit de la lettre du 7 décembre 1791 dans le recueil d’Hunolstein, avec la vraie lettre à Mercy, donnée par M. d’Arneth en son second volume, à la date du 16 décembre 1791.