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des siècles les lignes itinéraires les plus sûres et les mieux entendues qui existassent dans l’univers ; elles furent la cause principale de l’extension croissante des relations de l’empire avec les contrées lointaines. Cependant la translation de la capitale à Constantinople enleva à plusieurs des voies une partie de leur importance ; il n’y eut plus, comme auparavant, convergence de toutes les grandes voies vers le centre politique, et la ruine graduelle de la vieille administration romaine réagissant sur tous les services, les routes en souffrirent. Toutefois la solidité de la construction leur permit de résister pendant des siècles, comme on le verra plus loin.


II.

Quand les Barbares envahirent l’empire romain, ils trouvèrent donc pour pénétrer jusqu’à Rome des chemins tout tracés : ils en profitèrent ; mais, étrangers à l’art de l’ingénieur, ils ne songèrent pas à les réparer, encore moins à en percer de nouveaux. Leur cavalerie nombreuse, les lourds chariots dans lesquels ils traînaient leurs femmes, leurs enfans, leurs bagages, fatiguèrent ces voies à la conservation desquelles ne veillait plus une administration intelligente. On ne voit pas en effet que les rois mérovingiens et goths se soient occupés des routes. Aussi les communications dans la Gaule et les autres contrées qui étaient passées au pouvoir des populations barbares devinrent-elles de plus en plus difficiles et périlleuses. La meilleure preuve qu’il n’existait point alors d’autres routes que celles qu’avaient exécutées les Romains, c’est que le souvenir de ceux-ci demeura attaché aux chaussées alors subsistantes, souvenir qui s’est transmis jusqu’à nous. En une foule de lieux, les tronçons de voies romaines que le temps et la culture ont respectés portent le nom de chemins des Romains, ou encore celui de chemin, de levée de César, par allusion non à Jules César, mais aux empereurs qui les avaient construits ou réparés. Les Barbares connaissaient si peu les routes avant de s’établir sur le territoire romain qu’ils furent forcés d’emprunter aux Latins le mot qui leur servit à les désigner. Les Romains appelaient stratum une route pavée ou cailloutée ; ce mot s’est altéré au moyen âge en celui d’estrée, usité dans le nord de la France, en celui d’estrade, usité dans le midi. Les Germains en ont tiré leur mot straat ou strasse, les Anglo-Saxons leur mot street, que les Anglais appliquèrent aux rues, réservant aux anciennes voies romaines le nom de fosseway, c’est-à-dire de chemin creusé, adopté par opposition aux chemins naturels, les seuls que connussent à l’origine les Bretons. On se servait en