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LES VOIES ROMAINES EN GAULE.

latin pour exprimer la partie compacte et élevée de la route, du mot calceium, dont le moyen âge a fait par corruption cauchie, chauchie, et d’où vient en dernier lieu chaussée.

À mesure qu’on s’éloigna de l’époque de la domination romaine, le souvenir du peuple-roi tendit à s’effacer. Les routes qu’il avait établies ne s’offrirent plus en certains lieux à l’esprit du vulgaire que comme de merveilleux ouvrages dont l’origine se perdit dans la nuit des temps ; la fable s’empara de l’histoire. En Bretagne, on attribua la construction des voies romaines à une fée ou princesse légendaire, la reine Ahès. Entre Angers et Nantes, une voie romaine dite chemin des Main-Berthes était jadis regardée par les paysans comme le lieu de réunion des esprits follets ainsi désignés.

Dans la Gaule belgique, on supposa que ces routes étaient l’œuvre d’un certain Brunehaut, quatrième successeur du fabuleux roi Bavon, et qui était tenu pour un grand magicien. La tradition disait qu’en trois jours il avait fait exécuter par des démons obéissant à ses ordres ces routes, qui paraissaient gigantesques. Bref, il arriva en France pour les voies romaines ce qui est généralement arrivé pour les constructions d’un âge reculé et dont les auteurs sont oubliés. On mit sur le compte d’êtres surnaturels ou fabuleux ce qui semblait dépasser la puissance des forces humaines. C’est ainsi qu’en Grèce on attribuait aux cyclopes la construction des murs et des portes de Mycènes, qu’en diverses provinces de France on donnait pour l’œuvre des fées les dolmens et les menhirs, que, dans les contrées germaniques, on associe le nom du diable, des géans ou des génies aux tumulus, aux antiques castella, aux vieilles fortifications. Parfois ces traditions légendaires ont été oubliées à leur tour. Le nom des auteurs n’a plus été compris, et l’on a cherché à l’expliquer par des faits historiques et l’intervention de personnages réels. Tel a été le cas pour Brunehaut. La reine d’Austrasie de ce nom avait fait construire pour racheter ses crimes force églises et force monastères ; elle fut regardée comme l’auteur des voies auxquelles était rattaché le nom du fabuleux roi des Belges. Voilà pourquoi la chronique de Saint-Bertin prétend qu’on doit à cette princesse la grande voie allant de Cambrai à Arras, et de là, par Thérouanne, jusqu’à la mer, ouvrage dont ne disent pas un mot les historiens les mieux informés de l’époque mérovingienne, Grégoire de Tours, Aimoin et Sigebert. Cette prétendue chaussée de Brunehaut, les itinéraires anciens en font foi, n’est autre qu’une voie romaine. Des routes auxquelles on attribue ce même nom de Brunehaut sont pareillement l’ouvrage des Romains ; nous citerons en particulier celle de Soissons à Senlis, qui est marquée dans l’Itinéraire d’Antonin.