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LE DERNIER AMOUR.

son regard, dans son accent, ne sentait plus l’impertinence ou la ruse. Ce n’était plus le Tonino que j’avais redouté en croyant le pénétrer. C’était l’enfant naïf et tendre que j’avais aimé avant d’aimer Félicie, et plus il montrait de repentir de sa jalousie, plus cette jalousie me paraissait innocente et naturelle.

Je fus presque tenté de gronder Félicie quand nous fûmes seuls ensemble. Elle avait été trop dure, elle m’avait fait un rôle de maître et de juge qui n’allait pas à la douceur de mes instincts. Elle s’y était prise de façon à me rendre haïssable, ridicule peut-être, moi qui ne voulais régner sur elle et sur les siens que par la persuasion. À coup sûr, elle s’était trompée en attribuant à ce jeune homme une sorte d’amour offensant et déplacé. Ne s’était-elle pas confessée d’avoir exploité cette supposition pour me passionner davantage ?

— Voyons, chère fiancée, lui dis-je : il serait bien nécessaire de ne pas me bouder en ce moment décisif de notre vie. Vous voilà redevenue mystérieuse comme au temps où j’avais peur de votre sourire triste et hautain. Je sais, je vois et je sens qu’hier, pour la première fois, je vous ai blessée. Est-ce une raison pour briser votre cœur en me faisant un sacrifice que je ne demande pas ? Vous aimez Tonino, vous avez le devoir autant que le besoin et l’habitude de l’aimer. Justifiez-le complètement, s’il n’est pas coupable, et, s’il l’est, pardonnez-lui avec la tranquillité d’une âme pure que ne peuvent jamais troubler les pensées d’un esprit égaré. Parlez-moi de lui comme s’il était notre fils à tous deux. Empêchez-moi d’être trop confiant, empêchez-moi aussi d’être injuste. Ne laissez pas sur tout cela je ne sais quel voile, et si vous trouvez que je suis trop crédule après avoir été trop soupçonneux, avertissez-moi.

Je ne pus obtenir aucune réponse satisfaisante ; Félicie était sous le coup d’une terreur inouie de ce mépris dont je l’avais menacée. Laissez-moi me remettre de cela, dit-elle. Aujourd’hui je suis trop bouleversée. J’ai veillé et pleuré toute la nuit ; l’arrivée de Tonino m’a saisie. Je me suis imaginé que vous me croiriez complice de son retour, qui est une désobéissance ; j’ai été véritablement en colère, je l’ai haï comme s’il venait m’ôter votre estime, me voler le seul bien que j’aie à présent en ce monde. Vous me demandez s’il a eu réellement de mauvaises pensées, je n’en sais plus rien, je n’ose plus le croire ; ce serait donc ma faute ? J’en aurais donc eu aussi ? Vous avez dit qu’une femme était toujours complice d’un homme qui la désire… Peut-être que vous me méprisez déjà ! Cette idée-là me rend folle, et s’il faut que la présence de Tonino vous rende jaloux un jour ou l’autre, comment voulez-vous que je l’accepte avec plaisir ? Que me parlez-vous du besoin que j’ai de le voir, du devoir que j’ai de l’aimer ? Il me semble que je le hais depuis que