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caractère, entre la hardiesse déployée par lui sur la scène comme écrivain et la timidité de son attitude dans la vie ordinaire… » Révolutionnaire par la pensée, c’était un enfant dans l’action, dans toutes les choses de la vie. C’était le même homme qui, étant allé voir le chemin de fer de Pise à Livourne, restait confondu de tout ce qu’il voyait, de la rapidité avec laquelle fuyaient les objets, et, mettant sa tête dans ses mains, s’écriait : « Quelle chose ! quelle chose ! C’est véritablement un prodige ! » Les révolutions quelquefois ne vont pas moins vite que les chemins de fer. Niccolini assista donc à la révolution italienne de 1848 sans s’y mêler, ou du moins il ne s’y mêla que comme poète, de toute l’ardeur de son imagination ébranlée par l’insurrection de Milan, par les premières victoires sur l’Autriche. C’était assez pour lui. Quand les désastres vinrent, il les ressentit avec amertume, et il se rejeta de nouveau dans la solitude, restant plus que jamais en tête-à-tête avec lui-même, avec ses pensées assombries par la défaite, par la catastrophe, où semblaient périr toutes les espérances italiennes. La vieillesse d’ailleurs ajoutait à ses tristesses. Il ne cessait pas cependant de travailler. L’humeur épigrammatique n’était pas surtout épuisée en lui. Il s’efforçait de renouer le fil de ses pensées, et sous le coup des récentes déroutes, il se reprenait à rêver un nouveau Marius qui précipiterait l’étranger au-delà des Alpes. Cette idée de Marius et des Cimbres s’était tellement emparée de son imagination, qu’il avait commencé une tragédie sur ce sujet, et il se plaisait à imaginer que l’Italie devenue libre élèverait sur les Alpes à Marius une colossale statue de fer, qui serait là comme une menace perpétuelle pour les barbares ; il fit même l’inscription de la statue. Le Marius qu’il appelait ne vint pas. Ce qui vint réchauffer, réjouir son déclin, ce fut la guerre de 1859, ce fut cette révolution prodigieuse, fille de la guerre, et c’était assurément un des plus curieux spectacles que celui de Niccolini, l’unitaire de tous les temps, allant recevoir le roi Victor-Emmanuel à son entrée à Florence et lui offrant des vers dans lesquels, trente ans auparavant, il invoquait un roi puissant ayant un casque pour couronne et pour sceptre une épée. Le vieux poète se sentait un instant reverdir en voyant vivre et marcher sa pensée, en présence de tous ces événemens merveilleux, — la Lombardie reconquise, un nouveau Procida paraissant près de l’Etna, Rome démantelée, l’unité italienne presque à demi accomplie. C’était le moment de répéter le mot de 1815. « Je voudrais qu’une fois on se dît : Nous sommes tous Italiens, et alors je serais content de mourir. » Niccolini était au bout en effet ; il avait près de quatre-vingts ans. Il mourait le 20 septembre 1861, et le lendemain une foule immense l’accompagnait à Santa-Croce, le